Infusion du zen à l'usage des amateurs

Au fond, que la montagne est belle

La maison se réchauffe lentement bien que je ne peux pas dire qu'il y ait fait froid dans la nuit. Le bois se gorge de soleil et craque ici et là comme pour redonner vie à cette baraque qui ne reçoit que de temps à autre des touristes et entre chaque, une personne qui nettoiera leur merde.

Nous sommes sur la péninsule d'Izu, à 3h de train au sud-ouest de Tokyo. J'ai laissé Yokohama, Odawara (où je reviendrai dans deux semaines) et Atami dans mon rétro, puis Itô, dans une confusion de trains et de destinations, et nous sommes à la sortie de cette dernière, perchés dans des monts résidentiels paisibles d'Ogi où les gros corbeaux noirs coassent tout le jour de cette manière typiquement japonaise. Je dis typiquement japonaise parce que déjà les plumitifs sont autrement plus stock que les nôtres, foutrement plus macabres avec leurs « kwaan kwaan kwaan » qui résonnent et s'échappent des sombres arbres où ils campent en bande, et ont un genre de bosse qui nous fait comprendre expressément de ne pas leur chercher de noises sinon ils nous mettront au régime coup de tête-balayette. Et ici plus qu'à Tokyo où ils sont noyés dans l'immensité de la capitale, du matin au soir, ils coassent pour rappeler à cette campagne pour qui le temps ralentit tellement qu'on peut avoir l'impression qu'il s'est arrêté par moment et par endroit, qu'en fait non, notre heure viendra aussi de la quitter avec un ticket poinçonné, avec ou sans retour. La nature vit son propre rythme.

Je voulais voir la campagne nippone. Parce que dans The Taste of Tea, film de 2004 réalisé par Katsuhito Ishii, OVNI total mais chef d'oeuvre du septième art, on assiste à une petite tranche de vie d'une famille presque banale au milieu de ces bois et ces rizières, à quelques bornes de la première station de train qui mènera aux villes. J'ai parlé dans la première partie de ce récit de mon amour pour ce film, qui réunit absolument tout : des moments drôles, touchants, des innovations, des japoniaiseries et une sorte de tempo contemplatif propre à la fois à être expliqué par le spatio campagnard nippon et à laisser le temps au spectateur de faire ses bagages, se familiariser et s'installer dans cette maison avec ses occupants. Je voulais voir si cette campagne était un énième délire du réalisateur, ou si c'était comme il la montre, ici, dans la réalité. Et elle l'est.

Alors toutes les maisons ne sont pas en bois. Tout le monde ne vit pas en habit traditionnel non plus. Cette image du Japon encore un peu « médiéval », qui plait tant à l'occident qui n'a pas aussi bien su préserver ses coutumes locales et leur poids dans le quotidien, elle est entachée par tout un tas de choses, en premier lieu, j'y pensais en marchant ce matin, c'est que le cool pour un étranger, est le désuet d'un local. En d'autres termes, ce que nous trouvons authentique et typique est le passé ringardos pour les locaux. C'est aussi ce que je vis à travers ma photographie qui recherche souvent si pas à faire vivre le passé, à se concentrer sur ses évocations, effacer les traces du présent pesant et mettre en lumière les souvenirs plutôt que de montrer de manière plus objective la réalité, et à ce titre, je choisis de voir et donne à voir une image du Japon (ou des autres pays que j'ai visité) qui n'est pas vraiment en adéquation avec tout ce que j'ai vu, mais seulement une partie. Mais c'est aussi ça la photographie, couper dans le réel et n'en montrer qu'un fragment.

Aussi, j'ai longtemps marché et arpenté cette partie de la campagne, sur la péninsule d'Izu, aux alentours d'Itô, ses lacs, ses routes sous les futaies, ses longues pentes raides, à la recherche d'une image du Japon qui coïnciderait avec celle que j'ai apprise, dans ce film et ailleurs, mais un Japon résolument du passé.

Et ce Japon, pour une simple raison difficile à comprendre pour nous, existe encore par endroits.

Le problème des huit millions de maisons abandonnées

Le taxi me dépose en milieu de journée à mon nouveau domicile d'Ogi et à son dernier virage, je relève au seuil d'une haute forêt de bambous une serre fracassée et une maison attenante éventrée. Je sais que le phénomène des akiya (maisons abandonnées) est un véritable souci des pouvoirs publics au Japon (plusieurs préfectures ont lancé des campagnes pour en donner certaines à des volontaires contre quelques garanties pour repeupler des coins désertés), mais si proche de chez moi, sur le simple trajet de la gare à ici, tomber sur l'une de ces huit millions m'a fait comprendre (plus qu'à Tokyo et dans sa banlieue, où j'ai déjà pu observer le phénomène) l'ampleur de sa réalité. Je dis souci car on dénombre au moins huit millions d'entre elles dans un archipel où l'espace est limité, la densité de population dans les villes assez folle et que dans le centre où le prix du mètre carré continue son échappée dans les cols, l'optimisation et la rationalisation de l'espace vital donne lieu à une série de logements étouffants dont la moyenne de surface est sensiblement plus basse qu'en occident. Mais si j'ai pu observer ce phénomène déjà dans la capitale, il est d'autant plus prégnant ici, à la campagne, qui est depuis quelques décennies délaissée pour des pôles urbains plus attractifs, dynamiques et à même de proposer du travail, des services et des solutions pour la population. À cela on rajoute le facteur de vieillissement vitesse grand V de la population et de son faible taux de natalité, le peu d'immigration parce que le pays est tout de même relativement fermé à l'étranger quel qu'il soit (et les raisons sont diverses) et nous obtenons des maisons qui à la mort de leur dernier occupant sont ou bien sans héritier ou bien avec un/des héritier.s déjà loin.s de la campagne et sans aucune raison d'y retourner (quand bien même la péninsule d'Izu est assez touristique et appréciée pour sa proximité avec la mer et la capitale). Le résultat est en tout cas identique : l'abandon. J'ai visité quelques unes de ces baraques. Sans jamais en forcer l'accès, les plus anciennes ne possèdent aucune serrure et sont munies de ces portes vitrées coulissantes à l'ancienne mode japonaise. Certaines sont entièrement vides et il ne reste plus que quelques tatami (tapis de sol épais en paille de riz servant à la fois à l'isolation et à assurer une couche confortable pour l'assise et le couchage) en piteux état entreposés en vrac dans un coin de pièce, d'autres tombent naturellement en ruine parce qu'ouvertes à tous les vents et aux intempéries, que le toit s'effondre sous les lourdes pluies et que la végétation envahit le reste pour finir le boulot, et enfin, certaines plus rares restent intouchées. Pour en décrire une du dernier type à un ami, je lui disais « c'est comme s'il restait une tasse de thé refroidi sur la table » et effectivement, le futon toujours étendu (habituellement le japonais le range et replie systématiquement chaque jour afin de le ménager et qu'il garde son confort – en plus de libérer de l'espace dans sa pièce de vie), les caleçons qui sèchent, la vaisselle encore à faire,

de ces quelques maisons dont on pourrait croire l'occupant sorti faire une course, je relève un témoignage rare de ce qu'est la vie quotidienne du japonais, loin de ma version à moi, celle que je vis, occidentalisée, ayant encore besoin de quelques repères alimentaires ou de manières si durement ancrées que je ne les calcule même plus.

La maison japonaise s'organise généralement de la sorte : vous avez primo un petit sas d'entrée (genkan) au niveau du sol où on se déchausse et juste à un mètre devant vous, une surélévation qui déterminera le niveau du reste de la maison, construite sur pilotis. Le parquet est de rigueur sauf dans ce que nous appellerons la pièce de vie où on a disposé des tatami. Ce n'est pas tant une pièce où manger (ou alors pour les réceptions d'invités) que dormir et dans le fond de cette pièce on trouve toujours un oshiire (large placard où sont rangés les matelas futon). Ce salon donne généralement sur une étroite véranda (engawa) où on fait sécher le linge en hiver et l'intimité est assurée par d'autres panneaux coulissants (fusama) recouverts de papier washi épais logés derrière les vitres. Si l'occupant est de confession bouddhiste on y trouve également placé à hauteur de plafond un autel domestique pour la protection de la maison (butsudan). Plus proche de la cuisine, il y a une pièce qui contient généralement la télévision et où on dîne sur une petite table basse qui fait également chauffage (kotatsu). La salle d'eau comprend généralement une baignoire carrée ou rectangulaire, très basse et à la contenance folle si on devait la remplir (calquée sur la tradition de celles des bains publics, les onsen), mais rarement de cabine de douche isolée à l'européenne. Enfin, je vous ai fait tout une histoire des mirifiques chiottes japonaises dans le précédent récit, je vous invite à la relire afin de comprendre l'essentiel de la meilleure pièce de leur maison. Voilà pour la maison traditionnelle qui comme vous l'aurez peut-être compris est souvent sans étage, de plein pied.
Je voudrais revenir à une des maisons que j'ai visité, un coup de cœur étrange pour un habitat désert auquel un petit escalier en pierre mène depuis une ruelle peu empruntée. C'est de celle-ci dont j'ai dit plus haut que le thé était à peine refroidi. Le linge sèche toujours dans la véranda. Une autre machine attend et n'a pas encore été étendue. Le sac de riz est ouvert près de l'autocuiseur et une baignoire est remplie et soigneusement couverte à l'abri d'un calendrier arraché à l'été de cette année. Pourtant la maison semble souffrir de bien plus de poussière que six mois m'en peuvent produire. Mais l'électricité n'est pas coupée, ce qui resème du doute dans mon esprit, suis-je vraiment passé à trois reprises que l'occupant était à peine sorti ? Le délabrement des couchages me dit le contraire bien que mon expérience récente de l'état visuellement ravagé des choses au Japon m'aie trompé plus d'une fois sur l'occupation ou non d'un logement (car à chaque fois, on vivait toujours dans ce qui me semblait être de véritables taudis abandonnés sous des monticules de déchets). Les questions se multiplient quant à savoir où est passé la personne qui vivait ici. Est-elle toujours en vie si l'électricité continue d'être payée ? Mais pourquoi plus personne n'entretient la baraque dont une partie du plafond de l'entrée ne demande qu'à se vautrer au sol ? D'après les vêtements restants, il s'agit d'un homme. A-t-il des enfants puisque sa femme est visiblement décédée depuis un moment, comme en témoigne le petit autel au défunt dans le salon ? Si oui, où sont-ils et que diraient-ils de ma visite, eux qui ne semblent guère se soucier de l'état de cette maison magnifique aux tuiles bleues luisantes. Est-il possible de s'installer ici ? Un mois ou un été. Faire un peu de ménage, aller à la laverie, réparer le sol et changer quelques tatami. Tondre l'herbe et remettre les moustiquaires, nettoyer la cuisine qui est dégueulasse (pire que mes anciens chez moi, c'est dire!). Je rêve, mais je ne sais pas si les voisins laisseraient faire un étranger.

Mais au-delà de tout ça, il y a quelque chose avec le Japon qui nous dépasse un peu, européens. C'est à dire qu'il y a cette mythologie que j'ai déjà entendue « si tu perds ton portefeuille, tu reviens sur tes pas et tu le trouveras intouché » (encore plus vrai en Corée, toujours selon les légendes urbaines) et je ne sais pas si c'est lié à quelque chose de superstitieux ou spirituel, mais ça a réellement un truc à voir avec ce qu'on abandonne. C'est à dire que pour les japonais, ces objets doivent rester à leur place. Combien de fois j'ai vu des pendentifs, des petits porte-clefs au sol. Ne t'avise pas de les ramasser semblent te dire les regards jugeants des passants, tu vas déranger le grand ordre en place. Pire, il y a des quantités de voitures qui croupissent et pourrissent sur des parkings payants. Je ne sais pas si leur propriétaire reviendra dans 15 ans et sera soulagé de retrouver sa Nissan ravagée par le temps mais quelqu'un a l'air de le penser ici en tout cas. Et puis il y a donc le problème des maisons qui sont parsemées dans le pays et tombent en ruine alors que certaines sont potentiellement toujours habitables, mais c'est un problème japonais qu'il faut laisser aux japonais j'imagine.

L'amertume du thé

La péninsule d'Izu est fameuse pour sa géologie (les falaises de Jogasaki, les cascades de Kawazu, le mont Omuro) mais également pour ses cultures d'agrumes (oranges, citrons, clémentines et yuzu, une variété entre le pamplemousse et le citron vert) ou celles du thé. Après quatre années par monts et par vaux, ma consommation de thé a presque disparue alors que j'en buvais quasiment un litre et demi par jour du temps où j'habitais encore Lille. Je me rappelle cependant de quelques verres de thé à la menthe bus non sans émotion un après-midi avec ma sœur à Wazemmes l'année dernière et c'est sans doute à peu près tout de marquant, puisque boire du bon thé est rare, sauf peut-être ici au Japon.

Dans beaucoup de petits restaus, on vous servira d'entrée un petit verre d'eau glacée ou un verre de thé au riz soufflé, chaud ou froid, ça dépend des crémeries. Arrivé au supermarché local d'Ogi, un petit sachet étiqueté local m'a convaincu de l'adopter pour les deux semaines à venir, si je trouvais le moyen de le faire infuser. C'était sans compter sur le chemin du retour que je tombais sur LE revendeur encore plus local de thé, mais le mal était fait, et mes yens partis dans la poche de cette grande chaine. Le soir-même, visitant ma première akiya, parmi ce qui me semblait un ultime service de thé en l'honneur du défunt, reposant près de l'évier et de l'autel mortuaire, j'empruntais la théière que je lavais et le lendemain matin, l'objet continuait sa vie à deux cent mètres de là où il avait été abandonné (et continuera à servir du thé à de nouveaux résidents après moi, je l'espère). Mais si je vous parle de thé, ce n'est pas tant que le goût du thé me plait (là, j'ai cette citation de Frédéric Dard qui me revient « l'eau chaude j'la préfère dans mon bain »). En fait il ne s'agit pas seulement de boire du thé. Je ne vais pas m'amuser à comparer la chose avec la routine du café parce que je n'en ai jamais fini un de ma vie mais se préparer une théière c'est avoir l'assurance d'occuper ses quinze prochaines minutes, l'eau qui boue, le thé qui infuse, refroidit légèrement dans la tasse qu'on garde entre nos mains pour les réchauffer le regard absent ou hypnotisé par ces volutes qui s'échappent du liquide.

Il y a tout un temps qu'on consacre à la boisson qui infuse, nous réveille, réchauffe, pas loin du rituel, pas tant envers la boisson elle-même que ce moment précieux de recentrement sur soi.

Le thé semble nous dire « la roue continue de tourner de la même façon qu'hier et que demain », et nous rassure au quotidien.

Ogi

Dépendant de la ville d'Itô, niché dans les hauteurs à une quarantaine de minutes de marche de la gare de Minami-Itô, aller jusqu'à Ogi n'est pas simple, plutôt sportif, et c'est pourquoi le taxi s'est imposé rapidement à moi quand il a fallu débarquer avec deux valises pas encore pleines mais en passe de l'être (27 kilos chacune au final). Le village en lui-même est petit, mais étendu. À ses extrémités on touche au lac Matsukawa et son barrage, et de l'autre côté au lac Ippeki, de grandes forêts obscures l'entourent dans ce qui m'apparaît comme un décor idéal pour une vie, je veux dire, les montagnes voisines, la forêt mystérieuse, les micros sanctuaires disséminés comme des bornes kilométriques, la mer à une heure et demi à pieds et deux beaux lacs apaisants. Quoi de mieux ?

J'ai coulé des jours heureux à Ogi. Les commerces de première nécessité (deux supermarchés) se situaient à 15 minutes à pieds de la maison que je louais et dans laquelle je vivais tranquillement et si je voulais un peu plus de variété, je m'arrêtais dans les alentours de la gare d'Itô ou Minami-Itô avant d'escalader ma montagne. Chaque matin, la cambrousse se réveillait au son des uns partant au boulot et des autres bêchant leur petit potager impeccable. De gros radis blancs (daïkon) sortis de terre attiraient mon attention mais peut-être pas autant que la multitude de haut-parleurs disséminés absolument partout dans la cambrousse et qui diffusaient ou bien à heure fixe une sonnerie pour signaler 10 ou 11h, ou bien de manière aléatoire d'obscurs discours récités par une femme dont je ne comprenais guère le sens et qui n’émouvaient pas la population vaquant à ses activités comme si rien de spécial ne se passait. Chaque fois qu'elle résonnait, je demeurais circonspect et guettais les réactions autour de moi de peur de louper une alerte à je-ne-sais-quoi. Toute la région se situant dans une zone à risque de tsunami, il m'a été glissé à l'oreille que c'était peut-être là un moyen de vérifier le bon fonctionnement des infrastructures d'évacuation, mais de là à le faire tous les jours ? Le mystère reste entier.
À quelques kilomètres du village, deux superbes lacs (Ippeki et Matsukawa, le second est artificiel, attenant au barrage Okuno qui scie la vallée) et plus loin le mont Omuro, ancien volcan complètement recouvert par les herbes donnant une vue imprenable sur toute la péninsule dès lors que vous ne vous y rendez pas un jour de brouillard comme se fut mon cas. Cependant, malgré ce que j'ai raconté sur les maisons abandonnées, une fois rentré le soir dans ma maison et que le vent et la pluie la giflaient (c'est arrivé quelques jours mais durant ces deux mois j'ai très largement profité d'une météo exceptionnelle – et exceptionnellement trop douce puisque cette année marque le record de neige tardive sur le sommet du mont Fuji), l'air devenait un peu inquiétant et au fait du folklore puissant sur les esprits qui hantent d'autant plus les campagnes nippones, du fond de mon pieu, je me voyais déjà salué par les propriétaires des maisons que j'avais visitées et partir dans un délire digne du jeu Resident Evil où les villageois devenus maboules s'agglutinaient tel des zombards autour de la maison, bref, je m'endormais sur ces douces notes ou projetant une installation définitive dans la région, mordu par une de ces saloperies de zombis japonais.
Le dernier jour fut le plus pénible car une immense vague odorante de thé qui séchait s'échappant du revendeur local avait envahi le village. C'est la première fois que je sentais cette odeur si familière aussi puissante dans ce cadre merveilleux. La petite maison abandonnée au toit de tuiles bleues ne m'a pas quitté depuis.

Itô

Visiter Itô un jour de pluie n'a pas été la plus belle opportunité de découvrir cette ville portuaire, désertée et qui affiche de longues rues aux devantures closes, en un mot : un air sinistré. Pourtant Itô a quelques ruelles qui ont un charme, mais un charme qui prend racine dans son abandon, sa désuétude. On sent la ville en perte de vitesse et errant dans ses rues, on se demande où aller, que voir, que faire, que visiter, ou enfin, par où rentrer chez soi, puisqu'outre quelques petits commerces anecdotiques ou essentiels, le centre ville ne laisse en mémoire que quelques frissons du destin commun et sordide des villes de province de ce gabarit : trop grosses pour espérer retrouver la vie de village, trop petites pour aspirer et espérer devenir une véritable ville attractive.

Kawana

Au même titre qu'Ogi, Kawana est un bourg compris dans Itô pour faire gonfler ses stats (63 000 habitants en tout), mais un bourg côtier cette fois, contrairement à Ogi. Pour le coup, Kawana est vraiment mignon puisque sa gare vous dépose à son sommet et qu'il faut effectuer une longue descente dans de minuscules ruelles habitées pour atteindre la mer en contrebas. On y trouve un petit port de pêche, une ballade et une jetée qui est le repaire des pêcheurs amateurs du coin et pas grand chose de plus. À la caserne des pompiers, j'ai remarqué que ça picolait sec à en juger les cadavres de bouteilles qui trainaient, preuve en est que ça doit s'emmerder pas mal dans le coin. Mais autrement, Kawana est très mignon et vaut le détour.

Shimoda

La ville se situe au terminus de la ligne desservant la péninsule d'Izu. Shimoda compte 20 000 pelés et quelques tondus et a été un choc, un choc très positif pour moi puisque rarement dans ma vie je n'ai été aussi ému par une ville (mais peut-être faut-il que ça soit du à toute la péninsule qui m'a prit les tripes). C'est très difficile pour moi de mettre des mots et circonscrire cette émotion dans une liste de choses que possède Shimoda, je veux dire, il y a un air un peu californien parfois, avec ses palmiers, ses petites maisons peintes, mais parfois la rue redevient tout ce qu'il y a de plus nippon avec ses constructions. Une petite rivière coule le long de la Perry Road (du nom du navigateur américain qui força l'ouverture du Japon au commerce occidental en 1854), comme d'habitude il y'a un nombre dingue de baraques croulantes ou abandonnées et avec le climat presque un peu tropical, la proximité avec la mer et le soleil tapant, un air décapé et passé règne sur le tout.

Il y a plusieurs plages en dehors et à proximité de la ville, certaines où on y pratique le surf notamment (atout de taille pour moi), des petites boutiques charmantes, bref, c'est un coup de cœur cette ville et c'est un des rares moments dans ma vie (avec Palerme) où j'ai ressenti ce sentiment très fort de « je pourrais vivre ici » tellement tout me plait.

À noter qu'il y a un téléphérique pour avoir un beau panorama sur le coin mais j'ai complètement oublié de me pencher sur la question une fois arrivé.

Mishima

Autre coup de cœur de ce séjour à Izu, la ville de Mishima (dont est originaire l'éminent mais pas moins controversé auteur Yukio Mishima – Kimitake Hiroaka de son vrai nom) toujours dans la préfecture de Shizuoka. J'y suis allé car j'avais repéré une coutellerie, du moins une boutique qui vend de beaux couteaux et dont c'est la spécialité, ce qui n'était pas une mince affaire au final car beaucoup de celles que j'avais visitées jusqu'alors étaient en fait des quincailleries. Je fonce donc directement sur l'échoppe tenue par un adorable couple septuagénaire. L'homme s'occupe de la vente et adopte d'emblée le fait de me faire une réduction de 10% sur le tout pendant que sa femme emballe précieusement les cadeaux de cette manière minutieuse et attentionnée qu'ont les japonais. Bien que sorti tout heureux du magasin (et au passage soulagé d'une rondelette somme), je me dirige d'un pas léger découvrir ce que cette ville moyenne (110 000 habitants) réserve après l'achèvement de cette quête secondaire mais la balade se révèle au-delà de mes attentes. Non seulement il y a une foule de petites boutiques à visiter (même une spécialisée dans le rock ! c'est fou quand même, la devanture mettait des tshirts à l'effigie de Joe Strummer des Clash à l'honneur, j'étais ravi et j'ai discuté un peu musique avec le gérant dans la limite de Google Traduction) mais aussi pas mal de restos variés et une belle balade le long de la rivière Kano, sans compter sur la foule de petits canaux qui sillonnent la ville et lui donne un air irrésistible de ville sur l'eau. En bref, un coin pas du tout touristique, avec le mont Fuji en fond, et hyper mignon qui m'a valu d'y retourner une autre fois pendant mon séjour.

Odawara

Après deux semaines de rêve à Izu, poursuivre ma route et débouler avec mes deux monolithes sur roulettes à Odawara fait un peu mal au derche. Malgré son calibre de 190 000 âmes, on sent vite en s'engouffrant dans la ville qu'elle n'a pas le charme d'un Mishima ou la variété d'attractions que propose la capitale (qui sont mes seuls points de repère urbains au final). Cela dit, idéalement situé entre la péninsule d'Izu et Tokyo, Odawara profite d'une position de choix vis-à-vis du mont Fuji, et de la mer, ce qui en fait un point de passage pour de rares touristes qui daignent y poser pied (ceux qui ne peuvent pas se payer le séjour à Hakone si je me permets d'être mauvaise langue). Hormis son superbe château et l'enceinte impeccablement conservés, la ville semble pourtant mourir à feu doux. Une fois sorti du quartier de la gare, les anciennes rues commerçantes alignent sans effort des dizaines de rideaux de fer tirés jusqu'à nouvel ordre et dessinent une image d'une ville qui a connu de l'animation. Mais quand ? Le front de mer fait tirer la langue. La banlieue vous met au contact d'une frange de la population que vous n'aviez pas croisé jusqu'alors : les pauvres. Pas que vous passiez d'un coup dans un bidonville mais simplement, la population change, les façons de s'exprimer, se comporter, vous pouvez noter une familiarité, une sorte de désinvolture proche de la vulgarité, absente du comportement de la majorité des citoyens très à cheval sur un sens du paraître et de ne pas se faire remarquer au sein des centres ville mais aussi des villages.

Outre cela, j'ai passé une semaine horrible dans un logement ouvert à tous les vents et dont l'isolation phonique était au moins aussi catastrophique que l'isolation thermique, ce qui, durant ces jours ensoleillés mais chargés du vent froid et cinglant de l'hiver, me forçait à retarder mes retours à la maison car celle-ci était glaciale au point qu'en y arrivant j'avais cru la clim allumée par accident. Après être tombé malade dans ce logement du diable, j'ai fini par m'enfouir sous deux couvertures et un plaid affublé d'une polaire par-dessus mon pyjama et c'est ainsi que j'ai attendu mon heure.

Hakone

Petite parenthèse sur l'itinéraire de la Golden Route nippone entre Tokyo et Osaka, Hakone est une station thermale non loin du mont Fuji et qui trempe les pieds dans le lac Ashi, au milieu de petites montagnes ayant pour moi un air de Colorado ou du nord de l'Arizona, et peut-être ce souvenir me vient du fait que j'y étais presque pile un an auparavant. Hakone se découpe en plusieurs bourgs, distants les uns des autres de plusieurs bornes mais dont le point commun est qu'ils restent une destination touristique ciblant une catégorie haute. Hôtels de luxe et ryokan (hôtel avec source chaude) rivalisent sur les flancs de montagne à côté de musées, parcs et jardins payants ou restaurants chics. Le téléphérique qui est l'attraction principale du coin m'aurait offert une vue imprenable sur l'ensemble si le vent et ses rafales n'avaient pas été de la partie ce jour-là. Une aventure sur la journée rapidement avortée après un picnic succinct sur les rives du lac car d'intérêt à Hakone, je n'en avais point trouvé. Ni charme, ni authenticité, seulement des complexes et des propriétés qui se succèdent en respirant la mort.

Gotemba

Je pensais pouvoir entreprendre la ballade jusqu'au pied du mont Fuji depuis Gotemba, petite ville qui figure parmi les plus proches du sommet iconique nippon et la réalité des cartes, de la même manière qu'à Izu, m'a rattrapé sur les distances à parcourir pour atteindre les objectifs que je me fixais. Outre sa proximité (relative finalement) avec le mont Fuji, Gotemba s'étale sans intérêt particulier et récite le même chant qu'Odawara ou ses banlieues. Des rues vides, des axes routiers, quelques zones marchandes, un centre-ville moribond et une population âgée.

Le collectif avant tout, mais lequel ?

Je me permets un léger aparté avant de reprendre et boucler ces écrits japonais car une différence majeure s'est imposée à moi, français, durant mes observations.

Prenons le fait anodin, l'exemple simple des transports en commun. Au Japon, certes il règne un silence mortifère dans les rames, chacun plongé, absorbé par son GSM ou les heures de sommeil à rattraper, mais dans tous les cas si pas le silence, le calme est de mise afin de ne pas troubler les voisins. Mais vous savez, au Japon, dans les transports, les uns allant ou revenant du boulot, on ne voyage pas mains dans les poches, aussi il n'est pas rare de trimballer ses affaires dans un sac (le plus souvent à dos) et dans notre rame, la majorité des nippons portent non seulement un masque chirurgicale (autant pour se protéger que protéger les autres, j'ose le croire) que son sac sur le bidou. La raison est toute simple car de cette façon on ne vient pas à gêner les personnes qui sont dans notre dos avec notre charge. Bien sûr il s'agit là du fruit d'une discipline collective et d'une éducation qui met en garde l'individu sur le bienêtre d'autrui et lui demande de lui porter une légère attention, mais mon retour en France n'a pas manqué de me le faire remarquer. Cette prégnance du collectif, on la retrouve dans cet emploi des seniors dont je parlais dans notre premier chapitre, mi-contraint par les faibles retraites, mais aussi soucieux de rester utile pour la société, que ce soit en faisant la circulation auprès des écoles, des supermarchés, ramasser les feuilles mortes dans les rues, foutre vos courses dans des sachets, etc.

En fait, ces petits exemples m'incitent à penser qu'il y a un ordre très fort au Japon, lié de manière un peu obscure et douteuse aux thèses racistes et xénophobes embrassées par le pays jadis mais dont les restes sont encore bien sensibles.

Cet ordre c'est au sommet la nation (l'esprit, la culture, l'histoire), puis vient le peuple (les japonais) et ensuite tout le reste et donc les non-japonais à un dernier degré, au contraire d'une mentalité européenne plus individualiste certes, mais détachée ou distante de son patriotisme (sans remettre en cause son amour de son pays, mais si je prends l'exemple d'un Japon entier qui sombre dans un régime fasciste à gogo et dont les voix contestataires étaient quasi inexistantes ou étouffées, il m'est difficile d'imaginer les peuples de France ou de l'Italie suivre le pas sans moufeter sur la disparition du jour au lendemain de leurs libertés) et nos pays européens – idéalement – auraient une tendance à assimiler et intégrer les étrangers qui auraient appris un ensemble de codes, mœurs et culture de ce pays au même titre que ses citoyens d'origine dans une sorte de contrat social où tout le monde y gagnerait. Au Japon, pas du tout. D'après l'auteur Akira Mizubayashi dans son ouvrage Petit éloge de l'errance, il y a une pression sociale très forte afin de respecter une certaine « pureté » de l'ethnie yamato (ethnie majoritaire au Japon, après avoir étouffé et discriminé celle des aïnous, ethnie minoritaire des régions du nord – Hokkaïdo – ou celle des ryukyuans, des régions du sud – Kyushu) et donc de ne pas se mélanger/marier avec des étrangers. Autre point, que vous soyez un touriste de passage, que vous installiez de manière indéfini, que vous y soyez résident depuis votre petite enfance, nationalisé et cie, aux yeux de la société et de ses jugements les plus sévères et traditionalistes, si vous n'êtes pas de parents nippons et yamato, dans tous les cas vous êtes et resterez un gaijin (littéralement « personne d'un pays extérieur ») et ne serez jamais japonais au sens ethnique du terme.

Retour à Tokyo, dernières pensées et fin de cavale

Plus que quelques jours avant le départ et la fin de ce voyage. Passage par la case Tokyo d'où mon avion décollera bientôt tandis que je suis par la pensée assez largement tourné vers ce qui doit venir après pour moi : retour à Lille, retrouver mes ami.es, ma famille, un appartement pour rompre une dynamique commencée en décembre 2020, en quittant justement un autre appartement à Lille, mon boulot de l'époque et tout le tremblement. Alors je pourrais y voir un retour à la case départ, c'est tentant et c'est même presque évident, mais je ne le vis pas de cette façon. Parce que c'est un choix, que ces quatre dernières années, pas toujours faciles, relatées dans ce carnet de route sous la forme d'errances m'ont aidé à trouver quelques chemins où croire et voir un peu de futur pour moi, et pour l'instant, j'ai besoin de me rapprocher de ceux que j'aime, que j'ai à peine eu le temps de saluer entre deux destinations, me rapprocher de là où je suis originaire, avant peut-être, un autre épisode de ma vie, ailleurs, qui sait ? Je le disais à mon psychanalyste qui me suit depuis deux années maintenant environ, et qui a été d'une grande aide pendant tout ce temps passé, sur les routes ou ailleurs, reclus sans vie en saison, mais lorsque j'ai imaginé une issue à un quotidien qui m'étouffait tel un boa après l'épisode COVID, eh bien ma fierté ce n'est pas d'avoir trouvé ma voie, ou une solution à tous mes problèmes, ou d'avoir écrit une méthode miracle qui pourrait servir à toutes les fuites, ma fierté c'est d'avoir essayé, essayé de faire quelque chose de ma vie qui ne semblait plus faire sens à ce moment-là et m'aurait conduit à, vraisemblablement, une fin prématurée. Mon unique fierté c'est que j'ai fait les choses qui me semblaient justes. J'ai fait ces choses qui m'apparaissaient si dures ou impossibles. J'ai essayé.

J'ai essayé.

Le train local file d'Odawara à Tokyo et me laisse en gare d'Ueno, un quartier familier, proche de celui (Nippori) dans lequel j'étais arrivé il y a deux mois maintenant. C'est cool, je vais pouvoir retourner à cette petite gargote que j'aimais tant pour remanger un dernier katsukare (escalope de porc panée avec une sauce épaisse au curry japonais) en espérant pourquoi pas que la mamie et sa fille qui tiennent le zinc me reconnaissent (au final je n'ai pas eu le temps d'y passer, une prochaine fois oka-san?). Dans le trajet de taxi de la gare à l'hôtel, la chauffeuse est une maman divorcée à la quarantaine qui pioche dans son anglais de base pour me demander ce que j'aime comme manga et anime ou comme musique et qui est impressionnée qu'un jeune européen connaisse Dr.Slump (œuvre iconique d'Akira Toriyama, antérieure à son Dragon Ball qui l'a consacré comme un cador du domaine) ou les Fishmans. Tellement impressionnée qu'elle en oublie de lancer son compteur, alors je lui dis de garder la monnaie et je lui offre deux petites planches d'autocollants mignons pour elle et sa fille. Ça me fait plaisir de faire plaisir. Surtout à des gens qui partent de chez eux à six heures du matin et ne peuvent rentrer s'occuper de leur enfant que vers onze heures le soir.

L'endroit où j'ai ma dernière réservation de quatre nuits est un « business hotel ». Un truc pur jus nippon comme j'en rêvais en déchiffrant l'annonce quelques mois plus tôt depuis la Corse et mon cinq étoiles pourri. C'est typiquement le style d'hôtel de passage des salary men en déplacement sur la capitale, aussi la chambre est minuscule (économique dans tous les sens du terme, à peine vingt balles la nuit) : un futon plié sur des tatami, un frigo, une TV, trois cintres et rideau. Dans le couloir des vasques, du savon, un fontaine qui fournit à toute heure eau chaude, froide et du thé vert pour mon plus grand bonheur, plus loin un chiotte unique pour le palier (qui n'a pas la lunette multi-fonction, immense déception) et au rez-de-chaussée, outre les deux cabines de douche, un onsen (une salle de bain à partager avec une baignoire pour trois personnes) avec un horaire homme et un horaire femme.

L'hôtel est situé dans le quartier d'Asakusa, arrondissement de Taito, très central au final, très connu pour son sanctuaire où les touristes s'agglomèrent en masse, en partie en kimono (peu importe leur nationalité d'ailleurs) pour prendre la pose ou des selfies devant ces belles bâtisses avant de dévaliser la rue commerçante pleine à craquer de souvenirs contrefaits.

Difficile pour moi de m'émouvoir devant ce spectacle, moi qui m'en suis éloigné pendant ces deux mois comme d'une peste, alors j'ai fait ce que j'faisais de mieux, j'ai marché, tourné de ci de là, par où c'était mignon, où le soleil brillait, j'ai poursuivi les chats de gouttière, dans les ruelles, les avenues, le long des ponts et des parcs et j'ai découvert deux ou trois échoppes de rien du tout, un vieux vendeur de fruits vivant dans une odeur rance de pisse de ses matoux dans lequel je me suis vu, des temples déserts et j'ai croisé des dizaines de japonais comme deux ronds de flan de voir une saloperie de gaijin débouler dans leur rue pourtant tranquille.

J'ai ainsi découvert le charmant quartier de Tateishi, un Tokyo presque intouché par le tourisme, dont l'ancienne rue de la soif (Yokocho) vient d'être rasée et dont je ne doute pas qu'elle laisse place à de nouveaux buildings impeccables mais anachroniques d'une certaine façon. Au loin, de l'autre côté d'un bras de la rivière Sumida, la célèbre tour Skytree me toise toujours, et m'indique la direction de l'hôtel, de son quartier miteux de bar à hôtesses où de solides gorilles vous prient de venir jeter un coup d'oeil, juste un coup d'oeil. Le Tokyo que je visite reste néanmoins toujours paisible. Je ne vois pas beaucoup de capitales aussi tranquilles, rassérénantes, dans lesquelles il fait aussi bon déambuler que vivre. Contrairement à Paris, New York ou autres, Tokyo ne vous sollicite pas à tout bout de champs. L'unique souci restant la vision de l'étranger dans ce pays et le fait qu'il ne sera jamais véritablement intégré à la société japonaise parce que non nippon de part ses origines, mais c'est un sujet trop vaste et complexe pour moi qui ne suis resté que deux mois ici et aie senti ces bribes de racisme, ces regards circonspects ou presque hostiles (quand même, les nippons masquent tout ça du mieux qu'ils peuvent), cet agacement envers notre comportement inapproprié pour leurs moeurs, nos incompréhensions, et tout cela fait qu'il demeure tout de même compliqué de se voir s'installer ici, au-delà des barrières évidentes de la langue et de la culture.

Ai-je des regrets sur ce voyage ? Je me pose la question parce qu'il y a quelques années, je n'imaginais pas le réaliser au moins sans la condition de parler à peu près la langue, histoire d'avoir ce même genre d'expérience que celles eues en Italie, en Espagne (je les comprends à demi-mot plus que je ne leur parle) ou aux USA l'année dernière, et oui sur ce point, pas réellement un regret, mais une vérification de ce que je pressentais à l'époque : le pays est tellement centré sur lui-même que rares sont les anglophones et tous les contacts deviennent problématiques, ce qui moi me pèse particulièrement quand j'ai quarante mille questions à poser et qui me brûlent les lèvres pour les locaux, leur façon de vivre, le sens de telle ou telle chose, etc. Du reste, j'ai vraiment vécu un moment très fort et inoubliable à bien des égards, loin de la déroute et déconfiture américaine de l'an passé. J'ai véritablement adoré ce que j'ai vu du Japon. Evidemment, j'ai rarement été aussi dépaysé, mais surtout émerveillé. J'ai aussi retrouvé des lieux qui figuraient à l'arrière plan de cases de manga (notamment GTO et le quartier Kichijoji) et de voir que la réalité existe (encore) au-delà de choses lues et découvertes il y a plus de vingt ans, reconnaître intuitivement ces lieux, ça fait quelque chose de drôle. Que ce soient les petites mimiques des chefs de train, des attitudes de caissier, des façons de vous remercier, il y a une longue liste de choses qui m'ont fait sourire, éprouvé une sorte de tendresse pour ce pays caractéristique et atypique, pour nous en tout cas, européens, et ses habitants qui sont autant d'énigmes à déchiffrer tant tout nous éloigne d'eux. Mais malgré ces petites difficultés à communiquer qui ont fait de ces deux mois une période pétrie de solitude extrême et frustrante sur le fait que ma découverte tant désirée du pays a soulevé tout un tas de questions sur les us et coutumes restées sans réponse, je me dois de souligner l'apaisement, le bienêtre ressenti lors de mes déambulations. À part louper un train ou me tordre accidentellement la cheville, aucun souci n'égrainait mon esprit tranquille à ces vagabondages.

De ses banlieues à ses campagnes profondes, j'ai été heureux au Japon, véritablement et puissamment heureux de vivre ces moments pour ce qu'ils étaient, de belles dernières images de ma disparition.

Alors voilà qui clôt pour un temps mon carnet de route car ce retour du Japon sonne également un retour à la sédentarité pour moi, au moins pour un temps, dans ma ville d'origine, Lille. Ce carnet de route n'a jamais eu vocation à devenir un guide touristique (tant mieux si vous avez découvert des coins hein) mais seulement à vous partager mon expérience, mes ressentis durant ces pérégrinations. J'ai cependant toujours été touché de recevoir de petits messages de lecteurs (rares soyons honnêtes) qui – selon leurs dires – voyageaient avec moi depuis chez eux, en quelque sorte. Une voix n'a de sens que si elle est écoutée et je vous remercie de lui prêter un tant soit peu de valeur, afin qu'elle résonne ailleurs que dans ma tête. J'ai en tout cas toujours eu à cœur d'écrire ces histoires et ainsi redonner un peu de cette chance qu'on m'a (ou me suis) donné de vivre ces aventures. À vous qui êtes arrivé jusqu'ici, merci, et bonne route, vivez votre meilleure vie.

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