Setsunai
comme la fatigue du cœur
la triste lassitude
ou la solitude qui écoeure.
Voir passer un cadavre dans la Deûle
lever les cannes
et laisser le courant pousser son brancard
en évitant ses regards.
On a retrouvé le corps de Lloyd dans le port de Lille ce matin
Lloyd était un jeune minet de mon lycée qu'on a noyé parce que quoi
il faut des destins tragiques
et je pense à ça tandis que je parle à des sdf et des pécheurs
qui l'ont peut-être vu passer
il y a quelques années
que j'acquiesce en rythme du concert
zieutant discretos la fille au jean blanc et aux sambaie aie aie
rentrant seul par les rues que je connais déjà de ma ville de toujours
C'est ça, Setsunai.
C'est être encore là
chercher où aller
et pourquoi
Comprendre ce qui nous attire
Ce qui nous éloigne
et pourquoi
je ne peux construire
et pourquoi
j'enrage
C'est rentrer sans avoir de chez soi
Être étranger dans sa propre vie
Setsunai
Devenir triste à en vomir
Devenir ce triste dégueulis
pour ne pas devenir un de ces cadavres que l'eau silencieuse drague.
— 2022
Setsunai
Blonde comme les fêtes
Je marche au milieu de la fête foraine
et je pense bien comprendre que les gens derrière leurs façades qui luisent
sont ceux qui fixent les règles
et que ceux qui payent
sont rarement ceux qui gagnent.
Je regarde avec un peu de tristesse les petites combines des marchands de rêve
et un peu plus de tristesse encore
les espoirs que les perdants placent
comme sur un cheval
non-partant
ou qu'eux-même doivent conduire sur la piste de l'hippodrome
avec des jockeys rompus à cet exercice.
Je marche dans la fête foraine
et chacun y trouve sa place
je passe devant les machines à sou qui brillent et dégueulent des pièces d'un argent sans éclat, les pinces à peluches lasses qui dédaignent se libérer de leurs cages, les foires aux gadgets grotesques, les tirs au but fantastiques, la pêche au canard sans plaisir ou le manège à vomir vite
et rien ne me parle car tout semble réglé d'avance
Je ne veux pas jouer où je vais perdre
et c'est peut-être pour ça que je ne fais que regarder
ces gens s'entêter
contre quelques trucs et astuces
et au hasard
parfois peut-être gagner
Venir
partir
se perdre
au milieu d'une fête foraine
où tout clignote
comme tes yeux
dans un concert de punk
L'énergie pour tout alimenter est là
en moi
mais mes yeux se referment
le manège redémarre
attention au départ
et les machines tournoient sans nous.
— 2022
Plus de chien andalou
ou de coq enroué
plus de caravane où logent les fourmis
de soleil chaud, de vagues, d'Atlantique, de ruelles qui vous font l'effet d'un uppercut car comme de rares espagnoles, elles sont belles
plus de dies, plus de dios
après l'avion, les nuages
le froid maintenant
l'épidémie tout autour
les tests, les contacts, peu
un sourire malade derrière le masque
les yeux qui tombent et s'effacent
ce bar, ses moscow mules, comme avant
tout comme il y a six mois
car rien n'semble avoir bougé
ici
sans moi.
le camp de migrant, toujours là
le froid encore
toujours
passer devant
hausser les yeux
prier le ciel
Ah non, c'est vrai, il n'y a plus de Dieu
et il nous faut quand même continuer notre route
après deux mois sans
je retrouve cette mélancolie désemparante qu'on ressent
une fois qu'on s'est vidé les couilles
sauf que je suis de retour chez mon ex
et qu'elle me rappelle en souriant pourquoi je l'ai quitté
pourquoi je lui ai dit plus jamais et je me le promets
et ces mots sonnent creux au fond de moi pauvre cloche
je ne sais pas où je vais
comment ni pourquoi
je sais d'où je viens
d'un pays froid
où les chiens n'aboient pas
et les coqs se pieutent avec leurs poules
seul le vent hurle
entre les tours
HA HA HA
reBienvenu parmi nous.
— 2021
Nord - Sud
Sierra Nada
Mon corps se souvient
et je me souviens de mon corps
car la douleur m'irradie et remonte mes membres depuis mes talons jusqu'au cœur
où les sangles de mon sac tirent
et j'ai du mal à respirer
dans ces rues nouvelles d'une beauté que je déchiffre à peine
ainsi
mon corps se souvient de la douleur.
Mon corps se souvient de ta chaleur
j'ai oublié beaucoup de choses
mais pas le bien que tu lui faisais
quand le mal que je t'ai fait
m'apparaît aujourd'hui plus diffus et incertain
je m'interroge sur les raisons qui lui font penser à toi, depuis si loin, parce que rien n'a changé, que tout est fini, que je reste le même, en un peu moins bien, et peut-être toi aussi, chaque jour, chaque nuit, m'enfonçant dans le silence, la solitude du loup, mon corps hésitant à y entrer comme dans un bain glacé, incapable de dire, choisir, seulement nostalgique et pourtant en un mouvement
qui pourrait être la chute.
Mon corps se souvient
je pissais en direction d'une lune pleine et neuve comme une pièce dribblant les nuages pour luire dans le ciel
je pissais et je priais tout en même temps
invoquant une soirée pleine de gin passée, il y a plus de dix ans,
et je ne faisais qu'un avec la terre
ma queue au sommet de la Sierra Nevada crachait et me reliait au reste
je pensais
Quel bonheur de se vider de tout ce qui me fait
je ne pensais qu'à rejoindre la terre
m'évanouir en un rayon de lune
disparaître au milieu du bois des oliviers dans l'écho du ruissellement de ma pisse.
Mon corps vient de s'exprimer
j'ai chié
et ma merde a laissé une nouvelle trace sur le carreau
que je repousse du bout de la brosse que j'ai du mal à trouver
Plus tôt je mangeais un burger insipide d'une de ces grandes chaines hégémoniques fière de nous faire ingurgiter les propres fientes de notre monde emballées dans des sigles engagés pour le soi-disant rachat de notre humanité
Je me disais
Qu'est-ce que je fous là
à bouffer cette merde
avec mes mains
Ces mains qui ne foutent rien
et qui ont serré celles d'une longue file d'intelligence humaine jusqu'à l'édification par l'onction du capitalisme absolu d'un pâté de « boeuf » hormonal en un steak haché et sous-payé un « cuisinier » pour en faire la base d'un burger amerloque que m'a vendu une petite poule espinguouine désespérée par son taf accablant
J'avais le cul sur ma banquette avec l'impression de leur dire
Continuez, c'est bien ce que vous faites
mon soda sans sucre, sans glace, sans goût, s'éventait
et je tentais de me souvenir
du bien qu'on se fait en se remplissant l'appétit de ces images mentales sublimes et de leurs incarnations décevantes et risibles piochées dans la réalité
J'ai tenté de me souvenir
et mon corps se souvenait aussi de ce que c'était que de bouffer avec ses mains
et combien avant moi l'avaient fait
sur cette banquette
mais aussi dans les âges passés
ceux qui avaient lutté dans le froid, sur l'arche, dans les tranchées,
je me suis souvenu de tout ça
en regardant ce burger décharné
Vache reconstituée me souriant lamentablement à travers le cheddar fondu
que faire de plus ici
que de sortir dégueuler ce qui me reste d'entrailles
et crever en quête d'une once de légitimité d'exister ?
Qui suis-je au fond pour bouffer le repas d'un autre ?
Je n'ai pas choisi la douleur
mon corps s'en souvient
c'est tout
c'est là où il est né
l'estomac grogne
pour moi ce sera le dernier menu
por favor, j'ai dit,
cela signifie ici
s'il vous plait.
— 2021
C'est l'heure la plus froide de la nuit
longtemps le soleil est absent
et il tarde à revenir.
J'ai faim
je voudrais
devenir nuit
être cette femme
mais je n'ose pas bouger car on dort près de moi
tout à côté
La tente frissonne
les herbes bruissent
tout ce qui est au dehors est gris encore sous le regard de velours qu'une demi lune arrose
je veille tel le chasseur
à l'affût de son propre sommeil
l'air saisit les coqs transis qui rivalisent en un rythme chaloupé secret des clochers de campagne
comme j'ai le temps
je repense au déjeuner
Deux oranges chacun
volées à des branches dépassant d'une grille de propriété
gorgées de jus et généreuses, en ces lieux, à cette période, elles ne valent rien
je repense à ce jeune type qui a fait demi tour pour nous prendre en stop
il nous a vu
il nous a embarqué
d'Elche à Murcie
tandis que nous avions jeté l'éponge après 2h30 de tentatives et d'appels
ce type ne me connaissait pas
et m'aidant ainsi je me demande s'il l'aurait fait si c'eut été le cas
je veux dire, est-ce je mérite l'aide d'autrui, je perds tout sur tout, comme un imbécile
et je repense à cette nouvelle ville, cet énième arrêt, cette nuit tragique où mon sommeil s'en est allé battre les fourrés et l'auteur des bruits étrangers qui nous éveillent
le soleil ne devrait plus tarder à sonner la fin des insomnies
déjà il colore d'un bleu pastel le toit de ma cathédrale de plastique
je le vois venir
j'attends qu'il réchauffe la terre
et je me flanque, à la manière d'un chat, droit dans sa mire
j'attends
yeux ouverts
patient
imaginant des discours imaginaires se mêler aux maladies et à la poésie
j'attends en tremblant
d'une seconde à l'autre
puisque le soleil doit pourtant revenir.
— 2021
Camping sauvage de Murcie
Attraper des poulets de nuit comme le bon dieu
Il est 3h30
Il est 3h30 et quelqu'un toque
J'ouvre un œil
puis l'autre
je me dis non
personne ne frappe à la porte
mais il est 3h30 et le fourgon m'attend
ainsi je pars avec les autres vers une bâtisse pas bien haute où 4000 âmes prient en silence dans le noir
4000 têtes
ou 4000 becs
dans l'obscurité on ne voit que l'odeur de la fiente, mélangée à de la pisse, des plumes, de la paille, et cette chaleur, cette tension
j'entre là-dedans et je n'ai jamais fait cette besogne
c'est simple pourtant
tu choppes trois pattes de la main gauche, et avec la droite trois autres
tu fourres tout dans une boite avec une autre portée et vlan !
Le poulailler doit être vidé
il ne doit plus rien rester des affolés, des suppliants, des rebelles, des enragés
il ne doit pas y avoir d'exception
je m'imagine un instant en boîte moi aussi
au milieu de mes potes, et puis d'un coup
paf le saint père me choppe par la patte
waaaa !
gaffe putain !
et je recompte parce que j'suis pas sûr
un deux trois à gauche, cinq six à droite
on va dire que c'est ça
on les porte tête en bas pour qu'elle se rendorme, l'air de rien
on les fourre dans ces bacs
et au matin on les videra de leurs abats
c'est dingue mais dans ce hangar je ressens couler en moi un pouvoir infamant
je ne choisis pas qui vivra
je choisis dans quel ordre il crèvera
je me sens plus sale en moi qu'partout ailleurs
je suis de la race de la fin
égal à Dieu
j'ai le pouvoir
Il est 4h30
je dors enfin et quelqu'un toque, entre
et me saisis la patte
waaa
putain
ça n'est que toi, mon père, quelle blague
il est 4h30
et bientôt le jour se lève
4000 nouvelles étoiles par dessus ma tête
disparaissent enfin.
— 2021
Tout le long de la route
il y a des éoliennes
des champs entiers qui se dressent avec toute la monotonie et l'apathie de notre siècle indolent
sur d'autres champs arrosés par les pluies sales de mers mortes et souillées
des herbicides rassurants
un peu de pisse de chasseur un dimanche ivre
encore quelques gouttes de son chien malade par ci
des litres de pesticides
de la
pluie pluie pluie
tout s'abat sur cette terre maudite
mais rien ne s'apocalypse.
Voilà longtemps que je ne t'ai pas écrit
j'ai fait sans cesse la même route
tel un yoyo imbécile devant le désir et l'incapacité d'écrire
la volonté et la peur de partir
J'ai pensé à ces deux villes avec dégoût, amertume et envie de vomir
ces gens qui s'insultent, se battent, se foutent des coups, ils faisaient les poubelles d'un supermarché où les euros se bousculaient, alignés sur des comptoirs nettoyés au spray hygiénique, non, on ne veut pas que l'odeur de l'argent sale entre mes mains laisse ses traces ici
un noir cramé pointait du doigt une resto asiat' en leur assenant qu'ils étaient responsables de la pandémie, qu'ils seraient jugés, et si pas ici, au fond du ciel gris, le serveur est sorti comme une bombe un marteau à la main, l'a poursuivi dans la rue avant de lui foutre deux coups au sommet du crâne, ouvert, pissant, rouge et noir, voilà la justice de la rue aux pieds des puissants de ce monde.
J'ai donc repris mon vélo
je suis parti
durant une centaine de bornes j'ai trouvé ça difficile
cette route que je remontais
jusque Lille.
A chaque tour de manivelle, des gens vous suivent, vous dépassent ou vous sourient depuis l'habitacle de leurs automobiles puantes, toussantes, tuantes
et moi je grimpais péniblement mon nord, à bout, au bout de moi-même, à peine lucide
et je repensais à cette histoire
ce vtt offert pour noël par mon grand-père avec qui tout a commencé
une sortie d'été où je dérapais et tombais, un petit caillou d'un gros centimètre profondément et confortablement logé dans mon genou droit comme en atteste la cicatrice
je le sortis d'un coup de lame en pleurant à grosses gouttes
rougeâtres
sur le bitume
et cette fois où on trouva un lapin flamand au train arrière cassé sur le bord de la chaussée
le père de mon ami vint avec nous le retrouver
la bête s'était agrippé de ses deux pâtes avant et son soupçon initial de vie
rien de bon ne peut plus m'arriver
et elle avait rampé jusqu'au fossé.
nous devions l'emmener chez le vétérinaire
alors son père l'a saisi par les oreilles
jaugé quelques secondes
l'animal se balançait lamentablement
comme une excuse au bord de lèvres plaintives
pour refuser cette dernière danse
l'homme a sorti une barre de fer et devant le monde adulte, les yeux innocents ont vu terminée l'œuvre de notre puissant créateur
celui aussi
qui fait de belles petites terrines
dont mon ami s'est régalé une année plus tard
des larmes salées roulant le long de ses joues pleines d'une énième victime.
Voilà la dichotomie de la vie.
Voilà des mois que je n'ai pas écrit.
Je n'ai jamais pu
j'y pensais trop souvent
Lille me paraissait trop lointaine
Paris invivable
le bleu de Klein a laissé sa place au blues du déclin
il pleut en ce début d'été moribond
il n'y a plus de saison ma petite dame
et ma queue humide de toi se réveille
et je sens tes mains
comme celles de la mort qui se referment sur moi
Ce grand froid au creux de tes bras est terrible, suffocant
et ce n'est pourtant que moi
et je dois m'échapper
par la bouche, les yeux, les fenêtres, ton sexe et les chemins
je dois y aller
parce que tout autour est défait
et que c'est ainsi.
Il n'y a plus d'étoile qui guide, plus de vérité
passé un certain kilométrage il n'est plus que nuit
qui avale avale avale
l'énergie et les automobiles fusant comme du sperme dans la bouche d'une immense pute
qu'est la vie
qui nous a bien trompé.
et moi,
petit cycliste,
je ne sais plus d'où je suis parti ni comment tout a commencé
— 2021
Lille → Paris // Paris → Lille
Une tumeur et puis tu meurs
j'étais allongé
le froc sur les chevilles
pendant qu'un vieux m'échographiait les couilles
Il fouillait mes bourses
du bout de son engin voguant sur le liquide
et c'est bien ma veine qu'il dit
« une varice »
Et quelque part je sais que rien de bon ne pourra sortir de moi
je veux dire, cette fille qui m'envoie son test de grossesse négatif
ne sait pas que tout ce que je pourrais enfanter c'est un cancer
et encore,
un cancer pour moi
pour moi seul
même si je ne veux même pas faire tant de bruit
car ici les voisins s'effacent derrière leurs rues grises
ils se claquemurent après un rapide signe du bonnet
les jardins sont paisibles
chacun est reclus chez soi
et voilà pourquoi ils créditent
le foyer honnête est tranquille
alors à notre fenêtre nous attendons un signe
le printemps bientôt peut-être
la mort et sa charrette qui couine
et re-couine
la nuit
la nuit
toujours
la nuit qui couine pour chasser l'âme intranquille
et l'ennui.
— 2021
La poésie me vient par bribes.
Comme des éclairs mélancoliques
Ou des spots de publicité mensongers
Elle raconte doucement mon âme dans tous ses états
et souvent les plus bas.
elle vient parce que je dois mettre des mots
comme ces pansements qui se décollent de leurs plaies
à mon mal
qui vient de plus loin
ça peut être par le vent dans les futaies ou tes cheveux que j'imagine
un monument aux morts une clocharde qui urine
la lassitude des yeux absents
une serveuse morbide
une clope éteinte sans cancer pour la rallumer
toi toi toi
des choses ridicules infimes et invisibles
elle vient
avant de disparaître
et sa force est nostalgique parce que d'une beauté éphémère et déjà pourrie par de petits caractères
Alors
quand je ne pense pas à mes travaux écrits de longue haleine
des fois
c'est vrai
je me laisse aller à la poésie
et je lui ouvre la porte de ma cervelle
qui brûle et qui crane
devant les touches de ma machine qui louche
et sans le sou
je recompose ses traits
sans oublier jamais
qu'au seul jeu auquel tout le monde joue
chacun sait
que le casino
gagne
toujours.
— 2020
Le casino gagne toujours
Si c’est un homme
Je suis rentré chez moi
et je frissonnais comme jamais
Je suis terriblement malade depuis quelques jours déjà
tout au fond de mes gondoles
sans personne pour me bercer
mais c'est bien là ce que je mérite
sans doute.
Je suis rentré chez moi
les dents me claquaient
avec l'impression que le plafond du palais allait débouler d'un bloc
parce qu'il y a trop longtemps que c'est une ruine
et que le bas ne supporterait rien de plus
Je n'avais qu'une envie rageuse
m'enfouir sous mon lot de couvertures et me laisser devenir ma douleur
et je n'avais qu'un seul mot au bout des lèvres
personne à qui le chuchoter
c'était pour toi, « Papa ».
Toi, qui venais me réconforter les jours de fièvre
avec un cadeau symbolique trouvé sur ta route du retour, histoire de me dire « tiens, p'tete que ça vaudrait le coup de continuer encore un peu, et guérir pour en profiter mieux ? »
Toi, qui t'es assis sur ton malaise pour relativiser ma perte d'un amour juvénile
entre de longs silences, quelques mots sans incidence, tes lunettes battant une mesure imaginaire
Toi, qui passais des heures à parlementer avec moi au téléphone
essayant de me raisonner
en finir n'était pas une fin acceptable
je n'avais pas le droit de te faire ça, pas à toi
tu ne l'as jamais dit
c'était vrai
mais maintenant c'est écrit.
Est-ce que c'est ça être un homme ?
Frissonner tard dans la nuit
d'une maladie inconnue
parce que son père n'est pas là
qu'il dorme, qu'il besogne sa femme, qu'il bosse, ou qu'il vive sa vie
je n'ai plus vingt ans mais je pense encore à l'appeler
jusqu'au jour où j'aurai l'amer déplaisir de rédiger
« THE DAY SUPERMAN DIED »
Est-ce que c'est fermer son claque-merde et pleurnicher en silence que d'être un homme
Est-ce que c'est continuer à saluer les tours de bras de ces rustres, accepter l'indignité et le mépris, de tout, du sexe, de l'identité, des abrutis, des loups et des chiens et de leurs innombrables trous du cul sales qui parlent
tout le monde a un putain de problème
et c'est clair
mon papa n'est pas là.
Alors si je ne suis pas un homme
laissez-moi me poser mes questions
douter
Je ne sais pas commencer ce dernier poème
Métropolis a perdu sa Superbe
et la planète s'est arrêtée de tourner
Peut-être ai-je été son unique faiblesse
et je m'en voudrais
il n'est simplement pas encore le temps
bien que tout mon désespoir me supplie d'y croire
« pour soi seul ! » priait mon Céline...
il me reste la reconnaissance et l'amour
l'espoir si difficile à noyer
qui dit de vous si vous l'acceptez
ô... pas grand chose vous le savez...
celui-là ?
C'était un homme
et le peu de braves gens restant
se signaient.
— 2020
J'ai mis un certain temps avant de me rendre compte que ma mort viendrait de l'intérieur.
Je veux dire qu'on imagine souvent la mort comme une faucheuse étrangère ou du moins une personne avec qui on ne veut rien avoir à faire
Et c'est ce que j'aimerais aussi
mais la vie ne me laisse pas ce répit
et ma mort viendra de l'intérieur
elle aura mes yeux
et je le sais bien.
Je le sais
parce que je me sens pourrir de l'intérieur
et que j'en découvre des preuves
et chaque jour davantage.
Je le sens aussi parce qu'un cancer se développe très sûrement en mon sein
et c'est ainsi que chaque année on souhaite une bonne santé à venir à des mourants en sursis.
Qu'espère-t-on gagner à la fin ?
Les moyens pour nous ronger, nous bouffer petit à petit, à notre insu mais avec notre dette,
patiemment
jour après jour après jour
sont sans cesse plus performants
des gens y travaillent sciemment
en nous laissant juste de quoi vivre
et le loisir de survivre après des années passées à souffrir.
Tout ça je le sais
parce que nous sommes tous perdus
à des endroits différents certes
mais bel et bien paumés.
Et ça, je le sais aussi parce que ce n'est pas seulement mon pays qui est livré aux flammes du désir et au délire du consommé
mais parce que l'humanité recule chaque jour en nous
jusqu'à ne plus tenir ainsi qu'une petite boule qu'on garde en travers de la gorge
et qu'on souhaiterait cracher quand des situations nous fendent le cœur.
Et je me sens seul
j'ai soif d'amour mais
Je suis seul
au milieu de tout ça, et au milieu de moi surtout,
difficile à positionner
comme une grande enveloppe déjà malade que je ne sais où envoyer pour aller mieux, guérir, ou panser le monde autrement.
Et cela sent déjà la fin depuis ma cage
alors je n'imagine même pas l'odeur qu'il y a là où ça ne va pas
et je me console en me caressant le sein
ma tumeur, mon cancer, mon sang noir,
en me disant que ma fin est une fin en soi
et alors je regarde au dehors
à travers les barreaux de la prison
et de tout ce qui passe sous mes yeux
je ne comprends plus rien
si ce n'est que demain sera peut-être déjà la fin
et que je ne serai plus moi.
Il y a longtemps déjà, l'Homme s'est battu contre la nature pour sa survie
puis, l'Homme s'est battu contre les systèmes de logique qu'il a édifié pour sa survie
aujourd'hui, nous arrivons au temps où l'Homme doit se combattre lui-même et battre les autres pour vivre
Et notre seule victoire sur la vie
vous le savez comme moi
c'est la mort
alors je pense vraiment que tout est perdu
Donc tout le monde peut rentrer chez soi n'est-ce pas ?
et tirer le
rideau
il y a encore un peu de café sur le feu
et le maton laisse cogner sa matraque sur les barreaux
pour rappeler aux prisonniers que tout est bien là
sous leurs yeux
alors n'oubliez pas de tirer le rideau
et ne faites pas de bruit en partant
Merci d'avance.
— 2020
Les prisonniers de la Santé
Chère poésie moderne
Voilà bien longtemps que je ne t'ai plus écrit.
Ce matin encore
je pensais à toi. Je me disais
merde
ça fait longtemps
et puis nous voilà.
Je me disais aussi
que nous atteignions la fin de l'année
une autre sans pouvoir en tirer la moindre fierté
Je veux dire
ce n'est plus la même merde,
c'est encore pire
Il fait tantôt plus froid
nous sommes sans cesse plus dénudés, fragilisés,
tout le monde a l'impression que personne ne peut plus rien y faire
et c'est là tout l'esprit de notre siècle
qui s'enfonce lentement dans l'exhalation
ou plutôt la nausée
que procure une course trop intense vers la dernière ligne, l'arrivée.
Et je devrais sans doute moins y penser
ou boire
ou dormir
ou aimer
voire arriver à me faire aimer
mais chaque jour c'est de plus en plus là
pénible et persistant
ce sentiment que tout va disparaître
et c'est cela ma photographie en un sens. Un souvenir de tout ce qui disparaît déjà.
Chère poésie moderne,
je voulais t'appeler moderniste mais qu'y puis-je ? Tout cela a-t-il encore un putain d'intérêt ? Nous sommes là à discuter comme deux romantiques d'un âge passé, un qui voudrait sortir et crever l'écran pour devenir réalité et l'autre, l'autre qui voudrait se coucher six pieds sous terre tellement il a honte d'où il vient et qu'il voudrait à l'humanité lui faire bouffer son chapeau sans facétie et sans numéro.
L'écriture n'est pas (sans) remède.
C'est une mauvaise habitude que de se plaindre, on voudrait tout accepter sans moufeter, mais c'est dur en plus d'être terrible.
Parce qu'on ne doit pas tout accepter.
Voilà peut-être nos dernières lettres brûlées de cette année, à la manière du papier d'Arménie dont l'odeur lourde vient emplir la pièce et la tête
cette note sent le désespoir
pourtant j'espère – puisqu'on ne sait faire que ça – qu'il me restera à reconnaître des vents et des ondées que j'ai pu retrouver un jour de printemps, dont un qui me rappelait mon Angleterre car j'aimerais y être
J'espère plus simplement qu'il y aura un printemps.
Ou un été ou encore des saisons comme celles de mon enfance
et si pas ici, ailleurs.
Sur les autoroutes martiennes.
Entre les reins creux que je ne posséderai pas.
Sous les soleils auto-bronzants, les capitales en feu, les vents pauvres qui crient révolte
l'immense barouf qui pourvu qu'il emportera tout soit le bienvenu
pour tenir il me faudra juste une promesse de voyage
alors penses-y, chère poésie moderne…
ou devrais-je dire moderniste.
— 2019
Je ne suis pas fier d'être français
Non seulement parce que je ne l'ai jamais choisi
mais aussi parce que mon pays n'a jamais rien fait dont je puisse être fier
J'entends qu'il m'a donné une éducation
mais il m'a également profondément saboté
et pour une poignée de littérature et de pensée française à sauver
combien d'autres mômes a-t-il tué ?
Mon pays m'indigne
Mon pays m'attriste
Mon pays m'enfume et me gaze
Comme il en a envoyé tant d'autres dormir sous les becs à gaz
Non seulement son passé me fait honte
mais son avenir m'alarme.
Ses politiques successives, ses colonies, les droits et les acquis sapés avec chaque présidence jusqu'à ne plus tenir qu'au creux de la main ainsi qu'une toute petite liberté : celle de choisir de vivre ou mourir
mais non pas pour son pays, mais pour sa vie.
La misère, la pauvreté, la violence, le racisme, l'injustice, tout ça n'a jamais eu de frontière mais vit -et même très bien- dans mon pays
Se dire civilisé signifie savoir diluer tous ces vices dans des mesures de bonne conduite
et je ne pense pas qu'un système ou l'autre sauvera mon pays
ni une guerre civile d'enragés, ni un énième crack boursier de spéculateurs, ni rien
je pense plutôt qu'on peut se sauver soi-même de son pays
car c'est lui-même maintenant qui instaure la peur et la crainte
qui baigne ses enfants dans une auge fangeuse pleine de médias abusés, de jeu politique, de compromissions et de crises dont il n'y a toujours qu'une seule victime
Son peuple se débat dans sa lutte avec une hydre dont les têtes futures sont toujours plus infâmes
Nous sommes divisés, méprisés et montés les uns contre les autres dans un combat quotidien pour une miche famélique et rassie
Cela ils l'ont bien réussi
Ceux qui humilient les forçats de la faim
qui rient de la conquête du pain
qui traînent dans la boue des valeurs hautes pour lesquelles sont morts de grands hommes
toujours ceux-là qui violent la grande fédération des douleurs
ET ON NOUS DIT QUE C'EST CELA L'EXISTENCE QUE NOUS AVONS CHOISIE
On se rit bien du ''peuple qui décide''
non sans dégoût
Il ne manquerait plus que les bêtes choisissent où elles paissent…
et pourtant, derrière nos bergers interdits, sous les monts émus, au fond des lacs placides, où sont enterrés nos souvenirs
il est là,
notre pays.
J'ai écrit ceci en pensant au noble Bernanos, l'animal blessé
qui dans Les grands cimetières sous la lune, rugissait ainsi :
« J'apprenais ce matin l'entrée à Vienne des troupes hitlériennes. ''La droite va être contente'', me dit le vendeur de Ce soir. Et cinq minutes plus tard , un brave homme m'arrête dans la rue : ''voilà où nous mène le Front Populaire!… '' Nous regardions ensemble défiler, ainsi qu'une cour des miracles, des vieux et des vieilles réclamant la retraite tant de fois promise et tant de fois différée. ''Salauds !'' s'écrit mon compagnon, en montrant le poing à ces épaves. - Oh ! Mon pays !... »
— 2019
Oh ! Mon pays ! …
Cette nuit…
Cette nuit
j'ai mis le feu à ce qui me restait d'affaires
On dit que pour être vraiment libre
nos derniers effets doivent tenir dans une petite valise
et lisant cela
je me suis senti en danger
comme un scorpion surpris par les flammes desquelles il est rapidement encerclé.
Alors j'ai mis le feu à mon navire
et le capitaine s'est enfermé seul dans sa cabine
j'ai ordonné la direction du Front à ma compagnie
le choix des armes et du château pour harakiri
j'ai serré mon vieil animal contre mon torse
fort, et douloureusement,
j'ai senti rentrer en moi ses griffes
un si bel et brave ami
qui cherche à éviter la mort par une idiote et instinctive fuite
Voilà ce que c'est que l'homme
regarder, endurer de voir périr et emmener le monde à sa suite.
Les flammes ont d'abord roussi nos poils
nous n'étions pas du même combustible
mais je la serrais tout contre moi
La peur du feu et mon visage se reflétaient dans ses petits yeux exorbités
qui ne cherchaient qu'à vivre vivre vivre
et en dernier lieu, un endroit calme où pourrir.
Ce poème est ma dernière caresse contre sa petite cervelle en furie
car de nos corps mutilés je connais l'avenir
et c'est le moment où toutes choses se révèlent aux morts
où rompus, l'espoir enfin nous quitte,
Libres de tout espace temps
Libres.
C'était une belle et douce nuit
Puissions-nous avoir éclairer un peu la ville.
— 2019
La vie est un baiser
un baiser de votre tante avec de la moustache
et une eau de Cologne qui fouette
mais c'est aussi la recherche de la plénitude qu'on a à donner
pour un peu recevoir
Et quand on ne donne pas
on a rien
que du malheur.
La vie est un baiser
mais de la mort
c'est être Adolphe Hitler et vouloir tout embrasser
se souvenir de tout le mal qu'on a fait
et qui restera impayé
La vie couche la justice et lui baisse sa culotte bien gardée
et pour le reste
il y a l'argent qu'on vole au détriment des autres
pour se donner le droit de vivre innocemment.
La vie est un baiser
et il faut parfois y mettre la langue
et même les doigts
On peut être handicapé et con comme un balai
mais n'être jamais épargné
Etre celui qui sait ce que ça fait de se faire violer par le père d'une famille d'accueil
Etre celui qui sait ce que ça fait de sauter en slip de trois étages et lécher le trottoir humide qu'on a soi-même ensanglanté
Etre celui qui se bat depuis des mois dans l'espoir un jour de remarcher
pour aller s'enterrer plus loin,
histoire de voir ce qu'il s'y passe.
C'est aussi ce genre de choses, la vie,
des vaincus partout
des vainqueurs jamais.
Pas de pilule pour avoir du courage
ou rencontrer l'amour en jupe courte.
C'est toutes les petites merdes qu'on a à hurler
et qui finissent là, dans un coin de notre peau
Ces traces qu'on traine comme des limaces
dont on souffrira tant qu'il nous restera de la mémoire
avant que notre numéro vienne
et prenne fin.
Et une fois de plus
La vie nous a baisé,
Alors merde,
je vous le demande encore,
Qui veut revoir cette tante pédéraste d'Hitler ?
— 2019
Tout ce que ma mère m'a légué ce sont des varices et des cicatrices aux bons soins des spécialistes
Il est quatre heures…
Il est quatre heures
et je me demande qui dort avec toi.
Il est quatre heures
et je n'ai plus assez d'histoires pour moi.
Je n'arrive plus à endormir mes personnages et leurs vies débiles
je suis malade
j'ai froid
et je suis seul au fond de mon lit.
Plus tôt, la voisine allait se coucher
je l'ai vu une fois
recouvrir ses seins d'un teeshirt gris chiné
je rentrais chez moi
et j'ai vu cette petite poitrine ferme
Je me sentais béni des dieux
et je remerciais le ciel.
Je ne connaitrais malheureusement pas cette voisine
ni le chaud réconfort de sa poitrine
Quand j'entends mon corps travailler
j'ai plutôt envie de m'ouvrir le bide et me déverser ici
que sur de virtuelles vierges de papier
Je voudrais entendre le cœur des choses
et saisir les vanités
Vouloir tant pour si peu donner
qu'en me regardant
dans un grand miroir de là où je suis
Je me demande enfin du monde
Qui l'habite.
— 2019
C'est comme un cafard noir et luisant
au milieu d'un mur blanc
C'est des vers qui se dorent le cul au soleil de mon âme
et que des connards de moineaux essayent de grailler
sans savoir si c'est des fions qu'ils picorent
ou des cailloux sans valeur ajoutée.
C'est toutes les rares belles choses qui prennent leurs ailes au cou et s'envolent par elles-même
avant de se faire chasser au gros calibre
voilà, c'est ça, la poésie
Mitrailler de petites bêtes puantes pour récolter des clous qu'on pique dans des boîtes sèches et qu'on affiche, qu'on classe et qu'on déchire
C'est le dernier tour de roue avant l'immortalité dans son costume d'académicien troué, bouffé par des asticots brillants qui dansent comme des médailles sur la poitrine
C'est des cadavres dans des tableaux accrochés et des légendes qui disent :
Ne faites pas ça chez vous, n'essayez pas.
La poésie est un vent qui vient emporter toute cette merde et hurler avec les rafales à nos oreilles
Un vent qui soulève les toits et fait craquer les vieilles baraques
Un vent qui caresse les chattes et fait sourire les jupes
Un vent qui fait se lever les morts et jouer à chat
une petite tape dans le dos des vivants pour rigoler
Et moi, petite chiure de mouche, je me bats et me laisse porter par la tempête intérieure qui souffle au dehors.
— 2019
Entomologie de la poésie française
To kill a mockingbird
Il faut que je chasse l'oiseau de malheur
qui rit en moi
ou en chacun de nous
il me faut le chasser
et lui tordre le cou.
C'est l'oiseau qui s'envole
aux couleurs des meilleurs jours
au plumage d'illusionniste teignant le maussade
de son subtil vol incessant
C'est l'intolérable survie du joyeux sentiment
des migrations sous des ciels pastiches
qui s'enflamment de nouveau tels des brasiers
par le passage du rire furtif
C'est l'Espoir comme une colombe quittant la main
qu'il faut abattre d'une balle froidement
avant de redevenir
hélas
Humain, trop Humain.
— 2019
Il y a une lumière qui ne s'éteint pas.
En face, un peu plus bas
normalement il y a une fille qui vivait là...
mais elle n'est pas rentrée.
je suppose qu'elle est partie en oubliant d'éteindre la lumière
mais je ne peux pas m'empêcher de penser que quelque chose – de grave – lui est arrivé
En tout cas ça brille
faiblement le jour et jusque tard dans la nuit
plus tard que le moment où mes rêves font lumière et mes yeux vide.
J'aimais bien la regarder
de mon perchoir
Je me sentais Dieu le père avec son attention bienveillante
et son jugement sans impact
à me figurer qui elle fréquente
et si elle ne fait pas trop d'erreur dans son travail.
Elle a l'air d'une belle et tendre enfant
brune et fine, même coquette,
je serais triste d'apprendre quelque chose de cette nouvelle voisine
car alors je la connaitrais plus
et je me connaitrais moins, alors que la vérité c'est que je ne veux rien savoir
connaître c'est aimer, aimer c'est espérer et espérer c'est souffrir
et tout ça c'est un phare dans la nuit pour beaucoup
et moi je ne veux que rêver au chant de la sirène
peut-être la voir une fois ou deux faire flip et flop dans la mer
mais c'est tout... et bien peu...
alors voilà :
Cette fille a disparu, comme bien d'autres ont fait un trou dans ma vie
Je pense à elles, parfois
péniblement le jour
plus douloureusement la nuit
et je me dis qu'elles sont devenues autre chose, ailleurs,
qu'elles sont dans une pièce
qui m'est maintenant étrangère
elles aussi
un peu de lumière.
— 2017
Il y a une lumière…
Résultat des courses
Ce matin, j'ai parié sur un cheval
J'ai tout misé comme un abruti
Tout le monde peut gagner
après
tout
le monde.
J'étais parti en voyage, le seul qui soit
celui du doux rêve à la Pessoa
Je me voyais dans le premier couloir
mes billets au cul à foutre des coups de cravache à ces nègres pour qui zimpriment un peu plus vite leurs coups de sabot sur la piste
J'étais un moins que rien dans un cocktail
un pet éclatant dans un verre
riant des hommes avec leurs dames
des lecteurs et Dieu à leur grand dam
J'étais loin et réussi
Comme une pièce que je n'aurais jamais pu écrire.
Et il y a eu cette dernière ligne droite
J'eus toujours voulu être seul sous le soleil
un chat doré en sommeil
Mais on ne rêve jamais tant qu'on ne joue pas.
Derrière les boxes, d'une balle entre les yeux on abat
les bidets perdants et malheureux
ceux qui louchent et toujours se plaignent
J'ai tout perdu
et bien sûr,
Ce cheval
C'était moi.
— 2017
C'est la nuit
Et parfois, allant me coucher, je devine ton vieux fantôme allongé dans mes draps
Ce spectre du temps qui a passé loin de moi
Impassible et sans retour.
Montant les escaliers, y regardant à deux fois dans la pénombre,
Nullement superstitieux, je sens la présence d'une absence
Et mon regard, s'il ne décèle rien de l'obscurité envahissante, erre
Jusqu'à retrouver, tel Proust, son clocher de Saint Hilaire.
Alors du fond froid de mon lit je t'écris encore des vers
… mais … c'est dans mon cœur.
— 2017
C’est la nuit…
Qu’est-ce que le désespoir …
Qu'est-ce que le désespoir
si ce n'est cet engourdissement des sens qui se questionnent sans relâche : « Pourquoi ? »
L'immission du doute permanent à tout propos qui paralyse l'esprit et la machinerie
L'absurde non-obéissance à l'animal instinctif au fond de nous
Ce sont ces scorpions, qui encerclés par les flammes, se piquent et se suicident
L'heure sans cesse amère et les secondes douloureuses de l'anesthésie
La chaleur mourante d'un feu qui craque dans l'âtre et engourdit
La passion qui éteint les dernières lumières des fenêtres d'un gîte
Dans un village où il n'y a plus âme qui vive.
— 2017
Nous sommes de petites truites
Papa Brautigan aimait nous pêcher
et il est parti
lui aussi.
Nous sommes de petites truites
et certaines de nous sont pourtant des porcs
Nous remontons le cours d'eau
qui par moment est calme et indolent
mais d'autres fois nous emporte tel un torrent vers le fond des abysses.
Mais ce que j'ai à vous dire, vous le savez :
« nous – sommes – de petites – truites. »
nous sommes faites pour nager voyez-vous ?
Certaines ont l'écaille luisante et le corps frétillant
leurs voisines l'oeil torve ou la mine morne
nous sommes une même chère, dans un pareil flux
toutes, on se bat, on nage, à bout de force on s'exhorte, se laisse porter
tous ces rêves salés, ces efforts, pour d'autres que vous qui ne verront jamais l'aboutissement de ce gigantesque exode...
Cette métaphore éculée/Ces petits poissons à contre-courant/Toutes ces pierres au fond de l'eau, auxquelles on s'attache, pour mieux couler/Ce que j'ai à vous dire vous le savez/Nous sommes réellement de grosses truites/Au moins pour les petites qu'on pêche, emmerde et empêche/Et tout cela m'attriste/Nous voguons tous vers la même fin/Il est minuit, c'est la mort de la nuit/Mais aussi la naissance d'une nouvelle/Nous sommes tapies au fond de nos cours, de nos lits, sans air, sans besoin, nues, une présence réchauffe nos cœurs alors :
entre les ténèbres, celle de la fin qui est proche :
Enfin un hameçon
auquel
mordre.
— 2017
La grande pêche à la truite
Jesus Christ, What happened ?
L'association des dentistes de France conseille de faire un à deux détartrages par an.
J'emmerde les dentistes.
Les affiches de la salle d'attente des médecins vous préconisent des check-up réguliers pour votre cancer du colon messieurs, et du sein ou de l'utérus mesdames
Mais je chie à la gueule du cancer et j'emmerde les médecins.
Les impôts nous obligent à payer un tribut sur nos revenus, tribut qui nous sera reversé à nous – sales pauvres – un jour ou l'autre
Mais je les conchie cordialement car j'ai déjà bien assez payé ma misérable vie toute l'année durant
Les alloc tardent
La sécu se palpe
Il n'y a plus de travail
Et je me rappelle l'odeur presque médicale
des clémentines de la cantine des écoles du midi
Vous pouvez être le pire des assassins
manger une clémentine vous lave les mains
Il manquait à ces derniers jours de l'année
de la poésie
Où est-elle allée
Où les hommes sont-ils encore partis.
— 2017
Je n'ai plus un rond
Ma carte a été bloquée
le banquier a du trouver le temps long
et coupé mon fil de Parques.
Je connaissais le désespoir
c'était là un fidèle destrier
sur qui on va battre le chemin
et même lire dans les parcs.
J'ai maintenant la misère
quelques euros de pitié
lancés par ceux qui me restent
après la vente des derniers cadres.
Je me sens faible
sans appétit
je me laisse mourir comme un chat au soleil,
la chaleur me fond dans ma peine – comac.
— 2016
Pensez à nos enfants
Anxiolytique
Parce que les oiseaux qui migrent ne reviennent plus
parce que tous ces couples qui s’embrassent se quittent bientôt
parce que je voudrais que mon gosse ne connaisse pas la misère
que j’ai moi-même vécu
Je réponds à mon père qui m’a raté
qu’il n’aurait pas du me faire
et mieux fait de se taire.
Parce que l’angoisse me gagne
et que la raison se perd
qu’on pense à toutes ces choses que l’on devrait aimer
et qui ne vous inspirent plus que de la pitié
de vous-même
des autres
avant que mes chicots ne tombent
et que je ferme ma gueule
je voudrais pouvoir dire
combien tout cela m’attriste
A quoi bon être lu ou publié
quand comme le dit Hemingway
On ne devrait écrire que pour se soigner
Et cette impression
d’être sur le manège qui tourne
qu’enfants nous pensions guider
mais qui ne fait pourtant
que nous emporter
— 2016
On lui avait offert un cubis de
Trois
Litres
Cinq
Qu’on avait rempli de
Soixante
Quinze
Centilitres
de rhum des antilles
-et jamais de la réunion-
deux
Litre
de fruits exotiques
et où macéraient depuis quelques heures
trois
bananes
finement découpées.
Et quand on eut fini cette diablerie
On est sorti demander notre reste à l’arabe
du
coin
à coup de rhum coca
et ce fut mon dernier coup.
A l’eau le rhum
A l’eau les
sept
euros
quatre
vingt
dix
de burger
A l’eau l’estomac et ce qui noircissait en moi.
Même pas
deux
heures
au lit l’homme à l’amer
Vomis au coin des lèvres
De la pisse plein le pieu au réveil.
— 2016
Ne jamais manger ces bananes qui baignaient dans le rhum
Tu es la fin triste d’un bon livre
mais quand je tape mon nom
dans le web
je ne trouve que des américaines
qui s’assoient sur des centimètres
et n’ont
pas mes problèmes.
La seule chose que l’on sait sur moi
c’est
le nombre de kilomètres
que j’ai pu faire un mois
ou deux
un an
ou deux.
Alors peut-être qu’il faut écrire
l’histoire que l’on veut lire
parler de sa vie
et du beau temps
de ce qui détruit et pulvérise
de ceux qu’on a aimé
et qui sont partis
je vous raconte tout ça
parce qu’une folle
un jour m’a dit
que j’étais
mais je le cherche toujours
la fin triste
d’un bon livre.
— 2015
Le jour où j’ai rencontré ta mère
Le jour où j'ai rencontré ta mère, j'avais un océan à louer au fond de moi. J'avais les yeux vides comme le fond de l'air, on voyait que rien ne tournait à l'intérieur de ma boîte crânienne et elle était là, de tout son long, dans la grâce qu'on lui connaît, à contempler les prémices de la pensée chez l'homme en travaux que j'étais. Adorable comme toujours, elle devait sans doute encore porter ce petit gilet de coton bleu turquoise qui rappelle les destinations exotiques ou les couleurs fanfaronnes de poissons que l'on ne trouve que sur des frises au sommet des chambres. Ce petit gilet, un blue-jean et ses minuscules bottines de cuir à talons. Une simplicité d'être totale. Nous sommes restés quelques secondes à deux mètres l'un de l'autre, la bibliothèque venait de sonner le glas d'une énième pause déjeuner emprunte de solitude et elle ne s'attendait pas à me voir débarquer sur ce front singulier. Je me hasardais dans les rayons, je savais que je n'y trouverai rien puisque la seule chose que je venais chercher, c'était elle. Tant de livres me paraissaient bien futiles dans les tourments de ma vie. La quantité dégoûte quand vous ne voulez qu'une seule chose, du réduit, pour vous seul. Quand je l'appelais à moi, elle fût surprise de me trouver là, sur son lieu de travail. Je ne peux pas dire si sa surprise fût agréable ou désagréable car elle était coupée avec une peine profonde comme seules les personnes polies font montre quand il le faut. Je ne devais être plus que l'ombre de moi-même alors, mes valises sous les yeux, négligé et hagard, c'est à peine si j'avais pu hausser la voix pour la distraire de sa course. Il y eût du silence, elle me demanda si ça allait, évidemment gênée, sentant probablement que cette question rhétorique n'attendrait de moi qu'une réponse rhétorique : un mal entendu et blême « on fait aller ». Je ne pouvais l'escalader des yeux, de peur qu'elle ne décèle toute ma misère du bout des miens. Je les maintenais fixés sur les étagères du rayon poésie, misérable. Tiens, ils ont du Borges. Alors je lui tendis tes dernières affaires dans un sac de papier kraft couleur merde. Ta mère était là, un raz de marée se soulevait en moi, je sentais qu'il finirait par tout emporter alors je suis parti bien vite avant que n'inonde ma tristesse infinie et crasseuse ces livres affables et égoïstes.
— 2013
J'voudrais bien crever
parce que j'ai connu l'amour
et qu'il m'a par trop abimé
qu'j'ai plus l'goût à rien
que d'la voir et d'l'arranger
que'j'la récupère avant qu'mes veines
pètent comme des répères
à mélancolie trop fidèle
J'voudrais bien crever
parce qu'ils ont inventé les bouquets qui fanent pour les couples
et les fleurs qui ne meurent jamais pour les morts
et qu'j'avais choisi d'économiser
J'voudrais bien crever
parce que m'sieur l'professeur
disait que j'ferai jamais rien de ma vie
à part le trottoir où j'mendirai plus
que j'n'ai menti
J'voudrais bien crever
avant d'voir les autres changer
leur fusil d'épaule
et m'dire que mon monde s'dépeuple
plus vite que l'crâne de mon viok
J'voudrais bien crever aussi
parce que j'trouve que c'en est assez
et qu'on peut pas faire souffrir un gosse
quand lui y veut que périr
d'un accident en retard
d'un drame qui n'vient pas
le courage quine prend pas
non monsieur non madame
on ne le refera pas
son histoire qu'est d'la merde
elle en rest'ra
alors j'voudrais bien crever
parce que j'ai lu Vian
et qu'j'y connaitrai jamais ses singes
que s'qui m'dévore c'est le malin
le passé qui ronge et qui poursuit
comme un poisson d'avril
attaché dans vot' dos nigaud
et auquel tout l'monde rit.
— 2013
J’voudrais bien crever…
Marina
(à Charles Bukowski)
J'ai appelé ma fille Marina
En souvenir des ports où j'ai mouillé
Et des femmes que j'y ai visité
Un jour quelqu'un m'a trouvé et m'a dit:
« C'est ta gosse »
Alors j'ai essayé de me rappeler les seins de sa mère
La chaleur de ses cuisses amères
Le clapotis de mes vagues sur ses fesses
Les beuglements qui me poussèrent
À la confondre avec la putain d'hier
J'ai perdu le nom de cette triste mère
C'était sans doute une brave femme
Alors je me suis souvenu de toutes les autres
Et j'ai appelé la môme Marina.
— 2011
Hong Kong et le séant immonde
des ruelles qui coulent toutes à l'égout.
Veines sinueuses, sales, meurtris et dépravées
que rappellent les cuisses collantes pourtant sucrées
de ces jeunes mères
qui les descendent à chaque journée.
Hong Kong et le néant inonde
le gris de sa chevelure de tôle
où s'abat les larmes chaudes
du sexe de Bouddha. Il pisse.
Il pisse sur le port, le long de vos flancs jaunes
et nus, enjambe vos gosses et décharge le vent
sacré, breneux sur vos grattes-culs du ciel.
Vous voilà enfouis, pour cent mille, mille ans
sous un flot majestueux de merde.
— 2011
Hong Kong…
« Je n'ai pas chié depuis trois jours.
C'est à croire que tout ce qui déboule dans ma tuyauterie viscérale finit dépensé dans une folle énergie déployée pendant de longs ébats fantomatiques. Ce qui hante ces ébats est une sorte de violence sourde qui brutalise, transperce et brise la faible lueur d'être qui survit en vous et s'il rompt, vous ne redevenez qu'un petit paquet de merde, plus ou moins parfumé, bon à descendre des litres de tord-boyau pour encore se sentir vivre.
Paris est une ville fantôme. Paris est un dernier cri que des morts courtisent sans répit dans leurs limbes. Dans l'espoir de frôler du bout des doigts une grâce française au risque de s'enfoncer un peu plus profondément dans l'oubli.
Non, Paris est une fête auquel plus personne ne participe. Pas plus moi, que vous, qu'un parisien disparu. Paris n'a plus de nom, plus d'identité, elle est simplement hantée. Paris est une femme qui oublie ses hier, c'est une capitale de la négation, le douloureux chef-lieu de l'indifférence et le parnasse des imbéciles.
Si Hemingway ou Miller avaient tant été marqués par cette ville, c'est qu'il y subsistait quelques semblant de vie dans ses artères. Là encore, on pouvait croiser quelques poètes miséreux ou peintre en éternelle quête d'un prochain repas. Aujourd'hui, Paris est désertée par ses illustres amants dont elle a vendu les larmes. Pas plus de Picasso ou de Modigliani que de Baudelaire ou d'Appolinaire dévalant encore les sombres boulevards. La misère n'est plus la détresse commune des cabotins de l'existence, ils ne sont plus la vie culturelle ni la richesse infinie de faubourgs en ébullition, ils ont été tué puis vendus. Depuis, Paris croule sous la merde.
Je n'ai plus la force de porter mon corps quand le trafic respire de cette fumée noire qui a envahi jusque les parois de mon être. Je n'ai plus la force de le dompter du regard, il est battu par les flots, rompt et redevient intégralement sauvage. Paris est un compte à rebours impossible, sans cesse plus rapide et toujours plus infernal. Rien ne s'arrête ici, excepté moi.
Dans cette petite pièce d'où la lumière est absente, je couche dans des draps de San Francisco. Cette pièce renferme l'odeur terrible du chien mouillé que je suis devenu et je l'ai déjà dit mais, je n'ai pas chié depuis trois jours. »
— 2011