Tutto passa
RATER JUSQU'A SA LICENCE POETIQUE
L'une des plus grandes énigmes de la littérature moderne s'appelle Rimbaud.
Très jeune, la poésie le prend au cou, clef de bras et lui fait recracher des vers que des millions de mômes apprendront péniblement par cœur un siècle plus tard, ma bohème, ma bohèmeuuh, ça voulait direuh sans tout à fait les comprendre ou les apprécier d'ailleurs. Entre ses 15 et 20 printemps, le boug tutoie les sommets de l'art, il est consacré par ses pairs, ahuris comme deux ronds de flan de découvrir autant de verve et de tumulte dans un grand dégingandé provincial tout juste pubère. Il ne publiera qu'un unique recueil de son vivant (Une saison en enfer en 1873) avant de troubler définitivement les mœurs pour sa relation homosexuelle avec le poète Paul Verlaine qui finira par lui tirer dessus un soir de Bruxelles. Les marginaux sont vraiment des êtres impossibles se dira-t'il, et notre éphèbe s'enfuira rebattre seul la campagne un jour de 1976, comme il était venu.
À partir de là ? L’histrion a abandonné la plume (si on écarte les lettres à sa mif qui sont autant de conversations Whatsapp d'antan) et prit un cap qui surprend son monde car on le retrouve tour à tour explorateur, négociant et même trafiquant d'armes en Afrique, Rimbaud préfère d'expérience se retrouver plutôt derrière la gâchette que devant. Tous les scribouillards du Parnasse, bien au froid à Paris, le croient cané, alors imaginez leurs trognes mal peignées quand on leur annonce un jour que le zig qui éclaboussait de son talent et ses scandales la scène se tanne le cuir entre l'Ethiopie et le Yémen pour quelque argent ? Rejetant formellement son passé de poète le qualifiant « d'énorme fumisterie » à ceux qui le supplient de faire un second coming-out, ne pensant qu'au profit qu'il est possible de réaliser dans les colonies qui s'entredéchirent au profit de l'Europe, il n'y a bien qu'un vague mariage pour lui tirer l'idée d'un éventuel retour à la base. Mais la vie est pourtant aussi faite de wamashi geri comme il l'apprendra à ses dépens. Tout partira d'une petite douleur à la jambe droite, 37 piges ou pas, béquille, coup d'tête/balayette, et avant d'avoir compris qu'il s'agissait de son dernier tour de piste, Tutur Rimbaud était rapatrié sur notre Canebière nationale pour y casser sa pipe un 10 novembre 1891. Mais où est passé le feu sacré de ce poète ?
Des thèses entières, des vies de recherche et des fanatiques du babtou ivre ont tenté de répondre à ce mystère, soit l'une des plus grandes disparitions de talent de son siècle (à ce propos, laissez-moi vous recommander la lecture de Bartleby et Cie d'Enrique Vila-Matas, un catalan qui fait le catalogue des plus fameuses ruptures de la pratique). Les timorés tenteront bien de nous prouver qu'il lui en restait un peu sous le coude, de la fulgurance, dans ses lettres à sa daronne et à sa sœur, mais bon, soyons sérieux un instant, le feu avait foutu l'camp dans ses fusils et le sacré, Rimbaud l'a imploré sur son lit de mort sentant la faucheuse lui croquer la jambe. Et parmi les pistes que nous avons, c'est que consumée de cette façon, la vie littéraire extrême d'un Rimbaud n'eut peut-être pas pu durer ? C'est dès lors un choix de voyage qui a tout remplacé, une volonté de rompre avec ce qu'il était et de laisser derrière lui tout ce qui l'avait animé, et ainsi le premier, le plus célèbre pisse-copie des Ardennes, Arthur Rimbaud mourrait. Il a laissé la place à un personnage plus cupide, plus adulte en somme (si je puis me permettre ce raccourci facile), parti gagner sa croute sur le dos de celle des autres. Après s'être escrimé face à ses démons intérieurs, les avoir dompté au bout de vers et créé un au-delà tolérable à une crise existentielle adolescente (pas moins profonde ou difficile, soulignons-le), il a vraisemblablement choisi de relever un nouveau défi : affronter le vrai monde, ses lâches, ses imbéciles et ses (in)croyants. Et le résultat, c'est quelque part que cette seconde vie d'errance à grignoter le pain des autres l'a aussi tué non ?
Maintenant, quel est le rapport entre Catane, moi et Rimbaud vous allez me dire ? Est-ce que depuis la Sicile je me vois marcher dans ses traces quand, pour moi aussi, la poésie (mais pas que!) a foutu le camp ? Je veux dire, sans une once de son talent et l'ombre de sa patience pour lire ses comparses, la poésie m'a aussi longtemps habité, et j'en ai pondu des pages et des pages à travers les ans jusqu'à... plus rien. Finito basta la ritournelle de poet poet maudit-ouin ouin-j'suis si seul que personne y m'comprend-emoji qui pleure. Culpabilisant devant mon incapacité à transformer cette panne d'encre en une nouvelle forme de création, je cherche depuis plusieurs temps une explication à cet étrange et si soudain syndrome de page blanche généralisé (qui emprunte tout du cancer puisqu'il contamine et sclérose petit à petit toute aptitude créative), incapable de m'arrêter à la seule réponse qu'il s'agissait là d'un délire réservé aux douze ans d'âge dépressifs puisque des vieux tels Prévert, Char, Aragon ou même Senghor ou Cesaire (sans citer mon propre grand-père!) continueront leurs compositions poétiques en lieu et place des sudokus que l'EPHAD leur réservait. La vérité toute crue est qu'un matin, la poésie a foutu le camp de chez moi. Et elle a foutu le camp en prenant tout ce qu'elle avait installé avec elle, ce qui veut dire qu'un matin, je me suis réveillé sans boule au ventre, plus léger, plus serein, l'œil moins mouillé et jaune, le teint moins blafard, et pourquoi pas, si j'ose, l'air d'aller un peu mieux ? Est-ce que toute cette introduction ne dit pas en creux que la création, la tentation de chatouiller les muses est une bouée qui empêche les misérables de couler ? Aurais-je finalement appris à nager dans l'eau dont parle David Foster-Wallace dans sa brève mais capitale allocution ? Mettre les deux pieds dans la réalité et l'accepter vous éloigne-t-il définitivement des vagues et rivages oniriques ? Force m'est de constater qu'une comparaison tient la route entre ma noble destinée et celle que s'est choisi l'enfant terrible de Charleville-Mézières et qu'à un moment donné, nos petites flammes de vie ayant frétillées (lui devant l'engin du père Verlaine, moi sous le poids d'un quotidien abrutissant et me conduisant à une rechute dépressive), le largage des amarres a été nécessaire pour rompre avec la vie passée, quoiqu'elle aie pu produire de bien ou de lamentable. Alors sans proprement parler de disparition, puisque nous avons gardé contact avec nos proches, non sans pertes sur le bord de la route, l'appel du large a été à un moment donné salvateur pour nos existences, mais faut-il pourtant tout y sacrifier ?
PUNTO STORICO
Catane est la seconde plus grande ville de l'île de Sicile. Avant toute chose, je vais vraisemblablement être amené à faire un bon nombre de références à mes impressions perçues et écrites lors de mon dernier séjour sur l'île datant de novembre 2022, un mois pluvieux mais adoré à Palerme à lire en quatre parties (je vous link la première). Si vous vouliez en savoir plus sur Palerme, mes observations passées peuvent vous donner une idée globale de ce qu'est la ville ou la vie là-bas. Maintenant que le petit avant-propos est réglé, revenons-en à Catane et un nouveau séjour d'un mois en ces terres.
Primo, soyons honnête, pour le tout venant, il y a de fortes chances qu'on ne sache ni situer ni décrire Catania. Cette ville de 350 000 habitants (genre Nice pour équivalent) n'est connue de moi que pour une poignée de raisons : un ancien ami de dix ans d'âge d'origine sicilienne qui n'a pas daigné répondre à mon message, sa proximité avec l'Etna (avant de m'y intéresser je le confondais toujours avec un autre fameux volcan italien, le Vésuve, dans la baie de Naples, pas si loin, qui nous offrit Pompéi), Sant'Agata qui est un pèlerinage chrétien top tier chaque mois de février, et probablement un brin d'histoires sordides de mafia qui a fait la triste réputation de la Sicile. À cela, si on racle un peu les fonds de tiroir on peut ajouter à notre pile le jeu de société Les Colons de Catane (en fait non, c'est une invention allemande) ou la disons « modeste » contribution au patrimoine culinaire italien que peuvent être les arancini, boulettes de riz panées farcies et frites qui singent la forme de l'Etna.
Avant de vous détailler mes ressentis sur la ville, il me semble tout de même primordial de l'introduire via un petit point sur son histoire. Accrochez-vous.
Bien avant l'apparition des premiers fans de Michel Drucker ou des histoires consanguines des mythologies, bien avant même la mutation en être (auto)destructeur de tout ce qu'il touche, je vous parle d'un temps que les moins de 200 000 ans ne peuvent pas connaître, deux plaques tectoniques s'agitaient sous nos fenêtres, se mettent la misère, l'une d'elles finit par se coucher au dernier round et le reflux de la seconde crée une pustule qui au contact de l'eau précipitée dans les profondeurs ardentes de la terre va libérer tout son jus : l'Etna était né. Point chaud et sismique, tel Mick Jagger, son activité est intense tout au long de sa carrière puisque depuis les premiers témoignages jusqu'à aujourd'hui, le volcan continue de cracher son épaisse fumée (colonne pouvant atteindre plusieurs kilomètres de long), parfois accompagnée de geysers de lave ou d'éruption de magma qui au contact de l'air se refroidira pour produire de nouvelles couches de « terre » dans quelques millions d'années. Plus haut volcan d'Europe pour sûr avec ses 3350 mètres ayant évolué tout au long de sa carrière et de l'explosion/formation de ses cratères, il est avec le Stromboli (à moins de cent kilomètres au nord, sur une île éponyme appartenant également à la région de Sicile) le plus actif également. Dernière éruption connue ? Premier décembre 2023, sans dommages de quelque type que ce soit, loin derrière le triste palmarès des catastrophes régionales que peuvent être l'an 122 avant notre ère, 1669 ou 1928. Toujours est-il que malgré son instabilité et ses risques élevées, la zone de l'Etna est la seconde plus peuplée de l'ilot, et pour cause, avec un sol principalement composé de basalte et drainant facilement les eaux transformées des vapeurs rejetées par le volcan, la région est aussi la plus fertile du caillou ! Une fois passée l'étape paysage lunaire et noir des pentes du volcan, d'immenses tapis verts s'étendent tout autour de l'Etna, vous éclipsant l'autre côté beaucoup plus aride de l'île. Agrumes, champs, vignes, tout y pousse à merveille depuis l'antiquité et les premières exploitations de la population locale : les sicules. C'est encore à nos grecs que nous devons les premiers récits qui mentionnent la Sicile, car non contents de leur petit territoire et de se foutre sur la gueule entre cités, la Sicile devient rapidement un enjeu stratégique dans le bassin méditerranéen. D'abord phénicienne, puis colonie grecque, plusieurs comptoirs et ports sont érigés sur les côtes vers 700 ans avant JC, dont Katania. Il me faut relever que c'est sur une des plages de la ville, à Ognina, où les historiens estiment l'accostage du navire d'Ulysse pour le célèbre épisode du Cyclope, devenu emblème de l'île. Grâce à sa prospérité, à l'époque romaine, on la baptise carrément le « grenier de l'empire » tant son agriculture régale le reste de la botte. Au centre de cette partouze où les empires se dressent et se couchent, l'île passe de main en main et connaitra bon gré malgré tous les marins du coin et ainsi en témoigne l'architecture des villes : nombre de styles et d'époques cohabitent placidement sous le nez des touristes lapant leurs gelati (glaces). Un bond dans le temps, puisqu'outre le passage sous la bannière du Royaume de Sicile au douzième siècle puis son rattachement au jeune Royaume d'Italie au milieu du dix-neuvième siècle, pas grand chose à signaler si ce ne sont les terribles années 1669 qui verra le bord côtier de Catane repoussé de près d'un kilomètre par les coulées de lave ayant détruit les quartiers sur son passage (je rappelle que la pustule est à 30 bornes de là) ou le séisme de 1693 qui décima entre 10 et 18 000 pélos (soit plus de 60% de la population, alea jacta est amen). Il me faut signaler qu'à cette époque, malgré l'agriculture florissante en Sicile, une grande partie de la population est analphabète et constituée de pécores, ce qui ne l'empêche de s'engouffrer dans une fervente révolte en 1848 qui conduira en 1861 à la version de la botte unifiée telle que nous la connaissons encore actuellement. En dehors du fait que nous passons d'une monarchie absolue (un tyran, Ferdinand à sa tête) à une autre, constitutionnelle (avec des élections pour la couleur), si on dézoome un brin, cette période de trouble plonge également le sud de l'Italie dans une sacrée mouise. La très courte indépendance de la Sicile qui s'étale sur un peu plus d'une année en 1848 met le souk dans le tissu social, le clergé confortablement installé est dépossédé de ses biens, une crise économique éclate, suivie d'une famine, suivie d'une guerre lancée par Ferdinand pour mater la rébellion, poussant nombre de siciliens à s'enfuir et émigrer (en France et en Amérique notamment). La région qui se reposait principalement sur l'agriculture et son environnement se voit également bientôt vite dépassée par l'industrialisation massive du reste de l'Europe. Le brigandage apparaît dans un contexte où l'autorité est un peu floue, c'est ici que la mafia prend racine (et exporte son modèle notamment à New York via ses communautés migrantes) dans une île aux structures chaotiques, gangrénées par les prises d'intérêt et la corruption. La situation change radicalement en 1922 avec l'arrivée de Mussolini. Outre de lourds investissements publics afin d'essayer de rattraper le retard de modernisation accumulé par l'île, il s'attaque de front aux mafias, mafias qui se vengeront du régime mussolinien par leur ardente collaboration avec les alliés (contre financements) pour la préparation de l'invasion de l'île en 1943. Début août, Catane est le dernier bastion fasciste à tomber au cours de l'opération Husky, première stèle de la conquête d'Italie. Trois ans plus tard, c'est la première république italienne qui voit le jour et qui tentera de raccrocher les wagons d'une île toujours à la traine, « archaïque » à bien des égards, rurale, gangrénée par une pègre omniprésente et dont la population vit pour moitié dans une situation d'extrême pauvreté. Notre histoire se termine avec un renversement de vapeur vers une population fuyant ses campagnes où on ne gagne plus un kopek pour la cité où on en mendie contre ses services, une île qui a adopté de fait les conventions de consommation et de mobilité des régions plus développées sans pouvoir en soutenir les coûts, et jusqu'au début des années 90, la Sicile était un cimetière à ciel ouvert dans la guerre que la partie non gangrénée de l'appareil judiciaire menait à l'encontre de la mafia toute puissante, voilà un peu le topo, nous en avons terminé avec la partie historique !
LES ELEPHANTS AU MILIEU DE LA PIECE
Palerme était un coup de foudre inattendu pour moi. Je veux dire que par la suite, à chaque fois qu'on m'a posé la question d'un endroit où j'ai été et où je pourrais me resédentariser j'ai fourni la même réponse : cette foutraque et chaotique Palerme. J'adore son côté à l'arrache, vieillotte, ses petites rues sales aux pavés énormes, ses vues qui en débouchent, ses poules et ses chevaux au détour d'une ruelle du Borgho Vecchio, bref, j'adore. Alors oui, en atterrissant sur la deuxième plus grosse ville de Sicile, je m'attendais à trouver une sorte de Palerme bis, mais ce ne fut pas vraiment le cas en fait.
Je dois dire que je suis arrivé à Catane extrêmement fatigué, sorti d'une saison de travail de nuit comme d'habitude, pas plus éreintante pourtant (parce que j'ai passé mon temps libre à geeker – et que ça me manque cruellement d'ailleurs) et que de replonger dans l'atmosphère d'une ville bruyante et sale et nouvelle pour moi (qui me demande donc beaucoup d'attention pour m'y familiariser) a au moins pendant la première semaine contribué à entretenir cette fatigue. Du coup j'ai passé mon temps à dormir, puis prendre lentement mes marques, découvrir les quartiers environnants et le centre de Catane, qui, bien sûr, rappelle par certains endroits l'autre point cardinal de l'île mais en diverge également. Par exemple ? Là où je qualifierais Palerme d'oisive, Catane est une ville de travail. Je rappelle qu'on est dans la région fertile de de la Sicile (gros exportateur d'agrumes notamment) et qui profite aussi d'une industrie développée autour du pétrole et du gaz trouvé sur l'île après la guerre, que malgré une pauvreté et un chômage notable sur l'île (l'ISTAT – équivalent INSEE italien – compte en 2022 près de 18% de chômeurs dans ce qui est la plus grande région d'Italie, triste seconde place derrière la Calabre encore plus touchée, la moyenne nationale se situant pourtant sous les 8%) elle est assez attractive pour sa proximité avec la mer et son port de marchandises, sa belle région très touristique (bien plus que le nord de l'île) et le travail qu'elle peut avoir à offrir, en plus de profiter d'un coût de la vie très avantageux (globalement propre au sud de l'Italie bien plus pauvre que le nord de la botte) pour qui viendrait avec ses devises étrangères (et je ne déroge pas à la règle). De fait d'ailleurs, j'ai l'impression que c'est une destination prisée des expatriés qui voient en elle un parfait compromis de cadre très sympa où gagner un salaire étranger (et a contrario ceux-ci ont l'outrecuidance de se plaindre du manque d'espace de coworking ou de café où se poser et profiter de la wifi... vraiment...). C'est une ville où un loyer d'appartement peut vous encore coûter 400€ et l'acheter à peine cent fois plus. Et quand je vous parlais d'une « ville de travail », même les catanais le disent et le revendiquent : ici, contrairement à la paresse palermitaine (les deux villes entretiennent une certaine rivalité malgré leur différence notable de taille – et c'est assez marrant pour moi d'avoir rapidement annoncé ma préférence pour la première des deux, les catanais défendant leur ville utilisaient toujours cette expression de manière assez amère « rispetto a Palermo » qui se traduirait par « avec tous mes respects pour Palerme » suivi évidemment d'une critique, bref) à Catane on a l'esprit d'affaire et le business est omniprésent, au cœur de la ville.
Je me rappelle d'une de mes premières déambulations, c'était un dimanche en fin d'après-midi sous le soleil d'avril et sa vingtaine de degrés qui retombaient dans l'artère principale, la via Etnea, rue commerçante partant de la place du Duomo (la cathédrale consacrée à Sant'Agatha, protectrice de la ville, et dont le voile aurait stoppé une coulée de lave), cette artère était donc pleine de monde affairé à son shopping dominical (historiquement, le dimanche est tout de même alloué au repos du travailleur, à la messe, à la réunion en famille dans la société sous influence chrétienne). Parmi ces foules, des touristes naturellement, pas mécontents de découvrir que le dimanche peut aussi être une occasion de sortir le porte-monnaie, des allemands principalement, des français, quelques anglophones ou scandinaves. Je tends un peu l'oreille pour découvrir une remarque d'un couple compatriote « c'est pas si beau quand même, ça ressemble à Marseille » et j'y songe en errant. La beauté de Catane me paraît en effet moins évidente que le charme opérant à Palerme qui conserve son caractère. La ville ayant été partiellement détruite à plusieurs reprises, elle est une imbrication de différentes périodes qui s'agrègent autour de Centro Storico (centre historique). Là en revanche, les pavés noirs de pierre large polis vous disent : « halte-là gamin ! tu marches dans les pas de l'Histoire ». Les trottoirs sont haut perchés, le système d'écoulement inexistant et les ordures jonchent les coins de rue, triste haut fait italien, d'autant plus répandu dans le sud. Car la Sicile a une réputation, depuis son indépendance, celle de ne pas se conformer à toutes les directives de l'état. Ici on en fait un peu qu'à sa tête et quand on a voulu implanter ce système à cinq poubelles (plastique/métal, verre, carton/papier, indifférent et déchets organiques), une bonne partie des wagons n'a pas accroché la locomotive. Ainsi, il est très commun de voir des familles sortir leurs poubelles et les abandonner au coin de la rue pour qu'elles soient ramassées, par habitude, et quand bien même les passages de ramassage pour ces poubelles de tri sont fréquents, ils demandent de s'y pencher une minute et chaque soir de déposer à sa porte la bonne. Je vous parle de ça parce que je l'ai vu, mais c'est sans mentionner cette habitude encore bien ancrée de jeter ses détritus au sol ou ne pas ramasser ceux qu'on fait tomber, sans parler des décharges sauvages qui prospèrent et pullulent dans le moindre terrain vague. Malgré quelques initiatives populaires et associations bien courageuses pour nettoyer les quartiers, la tâche semble tellement immense qu'aucune des deux ne pourrait en voir le bout sans que les pouvoirs publics se mobilisent et fassent plus de pédagogie à ce sujet. Pour exemple, les plages se situant au sud de la ville se trouvent sous la piste d'atterrissage de l'aéroport de la ville. Cadre pas franchement idyllique (alors que quand on se retourne pour regarder la ville, l'Etna pose tranquillement dans le fond, les toits ocres pour le border, c'est une vue qui fait plaisir) et le roulis des vagues est chamaillé toutes les dix minutes par un décollage assourdissant et un atterrissage qui en cas d'erreur et pour le peu que vous fassiez bronzette, vous pourrez être sûr de rôtir sous la carcasse d'un low-cost, bref, sur cette plage longue de plusieurs kilomètres, que ce soit dans le sable ou dans l'eau, des déchets. C'est révoltant et déprimant, d'autant que les rares poubelles présentes débordent et sont visiblement oubliées des éboueurs. Et quand je dis qu'elles débordent, c'est qu'un amas de plusieurs mètres de détritus les entourent donc le fait ne date pas d'hier.
J'ai parlé déchets, je dois parler odeurs parce que sur ce point aussi, la ville peut déranger (promis après on passe à autre chose que des poncifs). Etrange que son mélange de linge propre séchant au balcon, pipi de chat odorant, déchets se prélassant et cuisant au soleil, eaux sales et pollution. La ville souffre particulièrement d'une dense circulation en son centre étriqué. Le soir, c'est les pizzerias et autres cuisines qui laissent échapper un fumet plus agréable. L'histoire s'intensifie l'été sans aucun doute, avec des températures passant de nos 20/25 degrés quotidiens à 30/35. Si la chaleur m'a incommodé à quelques rares moments (notamment ma remontée de Mazzaro à Taormina par un petit sentier/escalier exposé plein soleil, je n'ose imaginer le chemin de croix qu'il devient par canicule), je dois aussi avouer n'avoir jamais connu l'extrême sudation et le dernier stade de la soif un été en Sicile, mais nul doute que ce ne doit pas être du meilleur cru ni une sinécure, plutôt un genre de boite de pandore des mauvaises odeurs.
Le marché de la Piazza Carlo Alberto di Savoia, le plus grand de Catane, se tient chaque jour excepté le dimanche et déploie une myriade de stands allant des fruits et légumes, bouchers, poissonniers, aux étals de vêtements à 50 centimes, articles contrefaits et objets pour la maison à la qualité douteuse. Un joyeux bordel s'organise et laisse derrière lui chaque jour un monceau de déchets plastique impensable, heureusement nettoyé par les services de la ville en fin d'après-midi tandis que de petits agrégats roulent en travers de la place tels les boules de paille d'un western spaghetti. A contrario du fameux marché de Balaro (Palerme), on n'y trouve pas de street-food typique car pour ça, il faut se rendre à un autre mercato, celui de la Pescheria (à deux pas du Duomo) qui est nettement plus touristique et réservé à 75% de poissonniers comme son nom l'indique. Le nôtre est tout ce qu'il y a de plus authentique : les mamma y déambulent pour la préparation du pranzo (le repas du midi) et les touristes zieutent avec étonnement les étals où pieds de cochon, tête de thon ou espadon (très en vogue dans ce coin) s'exhibent. Autour du marché, de petits stands fugitifs déballent des contrefaçons des marques en vue : Armani, Gucci, Stone Island ou encore K-Way qui profite d'une nouvelle hype depuis quelques années notamment grâce aux ultras du foot. Sacs à main, parfums et baskets sont également de mise, quasiment exclusivement vendues par des populations d'origine africaine. Contrairement à Palerme, je remarque que ces communautés étrangères sont mieux installées et représentées dans les différents quartiers. Je note ceci car en Italie, par exemple pour les restaurants, il y a une prédominance très forte de la cuisine nationale, aussi, il n'est parfois pas simple de trouver une proposition autre que les spécialités locales. Même si depuis un certain temps déjà on peut trouver quelques restaus à sushi ou chinois, leur qualité reste médiocre, mais à Catane, j'ai poussé la porte d'un sénégalais ou d'un sri-lankais de mon quartier avec surprise et grand plaisir, et pu relever l'existence d'autres restaurants indiens, colombiens, mexicains et même français (il s'appelle le Napoléon, alors comment dire ? « Non merci »).
La Sicile a cette réputation de pauvreté qui lui colle à la peau. Pour étayer cette image, quelques statistiques sont les bienvenues. On a parlé du taux de chômage approchant les 20% des actifs (contre 8 à l'échelle du pays), mais il est d'autant plus important chez les jeunes de 16 à 25 ans, la moyenne nationale se situant à 39% en 2016 (contre 25% en France) il s'élève à 57% pour la région de Sicile ! Parmi ces personnes touchées, une jeune femme sur deux. Et le marché du travail italien et insulaire est si catastrophique qu'il conduit à une nouvelle vague d'émigration des profils les plus qualifiés, ceux qui ont le plus de chances de trouver quelque chose à l'étranger, la Sicile ne proposant ou bien pas de rémunération en rapport du niveau d'étude des profils ou bien tout simplement pas de poste disponible pour les mettre au travail ce qui fera dire à un proverbe local « chi n'esce rinasce » (qui s'en va réussit). Un quart des familles siciliennes vit toujours sous le seuil de pauvreté européen, le salaire moyen est nettement en dessous du reste du pays (1250€ contre 2600/mois) et le taux d'emploi des femmes est d'une sur cinq à une sur trois selon différentes statistiques et l'âge. Dans ce climat difficile, sur une île où chaque ville de la côte accueille régulièrement les embarcations de fortune des migrants sur cette entrée du territoire européen, aucune surprise à ce que certains se tournent vers une solution de secours pour apporter du pain sur la table : la mafia.
Je l'ai esquissé dans mon historique, la mafia tient ses origines de la lutte contre l'ordre établi par la régence de Ferdinand II dans le royaume des deux Siciles. C'est à l'époque une lutte liée à l'oppression et pour l'autodétermination, l'indépendance de l'île. Après l'unification du royaume d'Italie, ses bandes de brigands deviennent des réseaux pénétrant les différentes couches de la société, tirant profit d'une administration laborieuse et d'un laxisme, d'une distance paresseuse propre aux îles et à leur identité forte quand il s'agit de freiner les politiques imposées par d'autres, en l'occurence des décideurs étrangers à l'île. Pendant la guerre, ces réseaux luttent souterrainement contre le régime fasciste bien décidé à supprimer ces contrepouvoirs défiant l'autorité du Duce et de fait, ces bandes vont aider à organiser (avec un soutien économique non négligeable des forces alliées qui permettra leur développement exponentiel à la libération) la reprise de l'île. Pour ceci, ils en obtiennent auprès du peuple une certaine gloire et aura de résistants. La fin du fascisme sonne aussi le début d'une restructuration de l'état italien, avec une volonté d'unifier et égaliser le territoire. Des politiques d'aides au développement sont votées pour les régions du mezzogiorno (moitié sud de la botte + Sicile et Sardaigne) et largement détournées par les mafias infiltrées dans les sphères administratives d'état ou dans les entreprises remportant les appels d'offre des marchés publics ou profitant des aides. On parle de dizaines de millions, de centaines de millions disparus. La Sicile devient également un point chaud du trafic de drogue (aujourd'hui plutôt orchestré à l'échelle planétaire par la mafia calabraise, la 'ndrangheta), notamment grâce à une alliance avec la mafia corse (on l'appellera la « French Connection », je vous conseille ce documentaire audio édifiant à ce sujet) dans les années 60 pour rapatrier de Turquie des quantités d'opium par la Sicile avant de les transformer à Marseille en héroïne et l'expédier partout en Europe ou aux Etats-Unis, grâce aux cousins de Little Italy. Avec un vivier de sans emplois tel que la Sicile et avec des arguments tel qu'un travail rémunéré, un code d'honneur très fort et une notoriété ont vite fait de séduire une partie de la population qu'un système a pratiquement abandonné. Pourtant si vous avez suivi le déclin de la mafia sicilienne (Cosa nostra) au cours des années 90 (je vous renvoie au film Il traditore) suite à l'assassinat des procureurs Falcone et du juge Borsellino chargés d'éradiquer la pieuvre de l'île, celle-ci se porte toujours très bien aux dernières nouvelles, malgré l'arrestation et la condamnation régulière à perpétuité de ses têtes pensantes (notamment celle-ci, grâce à une image de Google Maps où un chef en cavale depuis 20 piges en Espagne a été reconnu par les policiers à sa poursuite), ses activités se portant moins sur la drogue et la petite criminalité que sur les détournements de fonds et arnaques financières, profitant toujours de l'appui de politiques, entreprises et fonctionnaires pour couvrir leurs gestes.
Mais Catane est une ville sereine. On y est à aucun moment inquiété, quelque soit le quartier où on s'aventure (au moins de jour, j'assume être très peu sorti de nuit). Je dis que c'est sale, parfois puant, mais rassurez-vous, on y trouve plusieurs quartiers bourgeois avec une richesse moins ostentatoire qu'à Palerme cependant. Maintenant, vivre à Catane semble relativement cool. Tout peut se faire à pieds pour peu qu'on marche beaucoup comme c'est mon cas (il y a un métro d'une seule ligne que je n'ai pas testé) et pour peu qu'on s'aventure hors des axes indiqués par le guide du routard, on se sent soulagé de l'absence de nos semblables. Dans mon quartier, entre la gare et le centre historique, en se baladant le soir, on peut assister à un match de football ou plus étonnant, de cricket, sur une place vidée de son marché. Ailleurs dans un parc, ce sont des vieux qui jouent aux cartes et parient quelques centimes. À tout moment de la journée, le chiosco (kiosque) est le point de rendez-vous des buveurs de café, de limone seltz (une boisson rafraîchissante typique de Catane mélangeant citron pressé, eau de seltz et sel et coûtant environ 1€ le verre) ou d'aperitivo (cocktail très léger et frais comme le Negroni, l'Apérol, le Campari ou tout simplement un verre de Prosecco). Ce sont de petites cabanes (souvent en dur) installées partout en ville qui distribuent aux assoiffés non seulement des boissons tout au long de la journée mais aussi de petits encas ou arancini à des prix vraiment sympas. Pour le reste, en ce moment il y a une exposition de Joan Miro, le bord de mer est piétonnisé le dimanche, on y danse on y danse, un petit marché de créateurs s'y tient, les enfants font du roller, du vélo ou de la trottinette (électrique cela va sans dire) et les plus petits sont dans ces horribles répliques miniatures – électriques elles aussi – d'une Jeep ou d'une Merco sous l'oeil plus ou moins attentif des jeunes parents qui doivent vivre leur rêve par procuration à travers la réussite affichée de leur gamin qui roule des mécaniques sur un bruit qui doit nous venir tout droit des enfers. Toujours le dimanche, il y a des concerts de jazz, au soir un thème et de la danse sur le kiosque au sommet du parc Bellini, un marché d'antiquaires pour les touristes et un autre dont l'origine des objets est plus douteuse en périphérie de la ville. Tout cela sans compter les manifestations et réunions populaires régulières autour en ce moment en faveur de la paix en territoire israélo-palestinien, du Téléthon, du jour d'unité nationale. Une petite ville pépère somme toute.
Je vous parlais du faible coût de la vie, une chambre d'étudiant ou en coloc peut se louer entre 150 et 300€ par mois. Je n'ai pour ma part pas pu profiter de ces tarifs avantageux ne m'installant pas sur la durée (j'ai déboursé un gros 600€ pour cela, pour une chambre oui). J'ai en revanche souvent mangé pour une bouchée de pain un plat de pasta le midi (le primo piatto s'échange entre 3 et 5€ et se situe traditionnellement dans le menu italien après l'entrée – antipasti – et avant le plat de résistance – secondo – mais se suffit largement à lui-même dans un contexte de température méditerranéenne). La pizza se mange elle le soir traditionnellement, et la margherita, sa déclinaison la plus évidente et historique se monnaye pour 4 ou 5 rondelles. D'une manière générale, c'est ici à Catane que j'ai découvert l'existence de la tavola calda (littéralement, table chaude), sorte de traiteur proposant à la fois primi et secondi piatti, à manger sur place (dans une assiette plastique avec couverts plastiques bien entendu, parce qu'on est en Italie) ou à emporter, qui en plus d'être économique, fait tout maison, est très bon et un excellent moyen de manger la cuisine populaire et découvrir les plats locaux entouré de gens simples. Le kebab à Catane coûte toujours 3 à 4€ (je n'ai pas poussé jusqu'à le tester mais ils ont l'air de bien marcher), les bars des alentours du centre vous
proposent des happy hours à 3€ le Spritz ou sa déclinaison, et je vous ai mentionné les restaurants sénégalais et sri-lankais, dans les deux cas j'y ai mangé comme un prince pour respectivement 7 et 5€ avec boisson : je nageais dans le bonheur.
Enfin, il y a le calcio (football) au cœur des passions italiennes. J'ai été malheureux de me rendre compte la veille qu'un match opposait l'équipe locale à celle de Messine, ville elle aussi rivale. Les abords du stade étaient verrouillés et bien gardés, sans place je n'ai pu témoigner de l'ambiance certaine qui devait régner ce soir, à mon grand regret. Cela étant dit, la ville affiche beaucoup moins ostensiblement son soutien à l'équipe que ça n'est le cas à Palerme (bon l'équipe est également en troisième division, contre seconde pour Palerme). Le symbole de l'équipe qui orne son blason est l'éléphant, car c'est aussi celui de la ville. Il trône en lieu et place d'un obélisque en face de la cathédrale et son origine est encore mal connue. Egyptien ? Byzantin ? Pourquoi un éléphant et pas un ortolan ou un loulou de Poméranie ? Où sont passés les fameux éléphants siciliens ? Quel rapport avec la choucroute ? Marine Le Pen prendra-t-elle Darmanin ou Zemmour pour premier ministre ? Le mystère reste entier mais toujours est-il que la statue du XVIIIème siècle qui met en valeur le pachyderme est en tout cas bien postérieure à sa sculpture. Les couleurs de l'équipe sont le bleu et le rouge (rose et noir pour Palerme).
QUIMPER ET ALENTOURS
Contrairement à mon séjour palermitain où je n'ai qu'à deux reprises daigner sortir des frontières de la ville, à Catane, sentant poindre très vite un manque d'enthousiasme et d'épanouissement dans la ville, j'ai commencé à visiter les alentours. Il faut savoir que le réseau de communication dans cette partie de la Sicile se résume à une ligne de train qui descend du nord au sud de la face est de l'île (entre Messine et Siracuse, Catane se trouvant en son milieu, le train dessert quelques villes de la côte) et un réseau de trois compagnies de bus qui s'aventurent jusqu'à l'autre extrémité du caillou (il faut compter une heure pour Siracuse et au moins trois pour Palerme).
La première étape, à une petite heure au nord de Catane est une destination qui revient très souvent quand on évoque le tourisme sicilien : Taormina. Taormine est une petite ville perchée au pied de la plage de Mazzaro, destination touristique réputée depuis les années 60. C'est une petite ville charmante, avec de micros ruelles et des escaliers qui montent et descendent, plein de petites recoins où pendent les bougainvilliers, où irradie le jasmin ou patiente une Fiat 500 à l'ombre d'un muret blanc. C'est du moins ceci que vous pourrez voir si vous vous écartez de l'artère principale où se succèdent boutiques souvenir, bijouterie, Dior, Vuitton, Ralph Lauren et j'en passe et des meilleurs, au milieu de restaurants rivalisant dans leurs offres hors de prix pour aguicher à l'aide de leurs serveurs les touristes qui descendent par vagues la rue. Taormine se fait forte d'un théâtre romain parfaitement conservé, de nombreux hôtels, d'un funiculaire reliant la plage au monde civilisé, de mœurs plus ouvertes que le reste de l'île mais surtout de ce petit quelque chose de charmant qu'ont ses ruelles intestines. Pourtant, la foule qui s'y trouve, les groupes de touristes guidées par leur porte-étendard amplifié, les divisions d'élèves qui s'amassent, les sollicitations perpétuelles pour une caricature ou un cannolo ont vite fait de me fatiguer, aussi je me suis rappelé de l'existence d'un bus portant un peu plus haut, au sommet d'une montagne dominant Taormine, où est planté le bien plus intéressant bled de Castelmola. Si y'a Castel dans le titre, y'a château, vous vous en doutez, et des ruines de ce dernier, vue panoramique sur toute la zone, très appréciable. Le reste du village est bien moins fréquenté que sa consoeur, au moins en ce printemps, et bien loin de ses velléités touristiques, bien plus dans la veine authentique du petit patelin italien tel que je le connais. Les ruelles s'enroulent et se déroulent autour du pic et une super petite marche vous permet d'en redescendre pour rejoindre Taormine.
À une heure au sud, vous trouverez Siracusa. C'est assez marrant mais à la descente de mon avion, j'ai remarqué que la moitié des voyageurs mettaient cap directement sur Syracuse pour leur séjour, et à ce titre, un bus les emportait vers leur destination, Catane étant le seul aéroport de la zone. Alors profitant d'une belle journée ensoleillée, j'ai moi aussi guidé mes guêtres dans cette ville. On y retrouve un large site archéologique, très bien conservé lui aussi, une musée d'archéologie bien fourni, mais surtout, une vieille ville vraiment sympathique, un peu à la manière fort Vauban à une pointe de l'île (l'autre partie de la ville étant bien random sa race, il faut le concéder). Là encore, micros ruelles, plages riquiqui au bas des remparts trempant dans la mer, casette (maisonnettes) et chats errants seront les ingrédients principaux d'une visite très convaincante. Même si je me suis fait arnaquer de fou sur le repas du midi (sans sourciller on m'a annoncé 9€ pour une cannette et une vilaine plâtrée de pâte – de manière générale, je dois retirer aux siciliens ce point qui les fait jouer de manière canaille entre le tarif réservé aux insulaires et le tarif à la tête de l'étranger), la chasse aux minets dans le labyrinthe de Siracusa et sa proximité de sites antiques sont un délice haut en couleurs et une longue piste limant les falaises du bord de mer vous régalera en tranquillité et bleu azur.
Noto, se trouve encore plus au sud, à deux pas d'Avola (bien connu pour son cépage, le Nero d'Avola, qui vient plutôt d'un petit bled pas loin, Pachino ou de la côte sud sicilienne) est une ville baroque juchée elle sur une grosse colline. Super mignonne, recombinant le labyrinthe de Siracusa à un délire plus italien renaissance ocre et jaune, il respire une tranquillité certaine à Noto. La logeuse qui m'a accueilli y a vécu et parle d'une trop grande tranquillité, à tel point qu'en hiver, c'en est flippant. En tout cas c'est fort mignon et on se plait à se balader de haut en bas et découvrir chaque petit recoin, chaque impasse ou cour qui vous rappelleront vos meilleurs souvenirs de Venezia ou Bosa.
Autre direction, à l'ouest cette fois vers l'intérieur des terres, un bus m'emmène à Enna, fief d'une autre province de la région. Nichée sur le sommet d'une autre colline, la ville possède une section basse et une haute, la seconde étant celle plus historique. Juste en face de ces panoramas dégagés sur toutes les environs, le petit village de Calascibetta, à presque 700m d'altitude. Les deux bleds sont tous les deux mignons à leur façon. Si Calascibetta est un de ces villages qui compte une vingtaine d'églises (quasi toutes fermées au public cependant) et un musée consacré à la Fiat 500 (que je n'ai pas trouvé malgré des panneaux l'indiquant à plusieurs reprises), il reste qu'il n'y a vraiment pas grand chose à y faire. Enna, d'une taille plus importante, est vivante et assez sympa.
Enfin, point central de la région, je me suis permis le dernier jour une virée sur l'Etna. Son accès n'est pas si simple sans véhicule, aussi j'ai du renoncer à mon envie initiale de faire un trek à son sommet de plus de 3000m (les points de départ sont plutôt au nord du volcan et pas desservis par les transports en commun, Catane à son sud). Toute excursion désirant passer la barre symbolique des 2800m se doit d'être guidée par un vulcanologue patenté, je me suis donc replié sur une sortie avec une prise en charge depuis le centre-ville, dix compagnons étrangers et deux guides pour la somme de 65€ (le moindre bus touristique vous coûtera 35 balles pour vous amener au refuge où se trouve le téléphérique – qui coûte lui aussi la modique somme de 65/70 balles – et d'après ce que j'ai compris, une fois en haut, sauf si vous êtes accompagné d'un pro, pas grand chose à faire que de redescendre). Nous voilà donc parti pour une petite ballade de plusieurs heures et une ascension de 600m, foulant les cendres du volcan, dans ce qui sous les pieds crisse tel un gravier. La végétation, au fur et à mesure que l'on monte est de plus en plus rare non seulement car il fait de plus en plus frais mais aussi car les coulées de lave sont plus fréquentes. Les arbres disparaissent et ne subsistent que quelques mousses et petites herbes aux racines tenaces et profondes, capables de briser le basalte, omniprésent tout autour de nous. Le magma (liquide) expédié hors de ce volcan effusif (à contrario des volcans explosifs, type Vésuve, dans la baie de Naples) coule en de lentes rivières de lave (solidifiée à l'extérieur) qui ont été les principales sources de dégâts locaux. Une fois sec, celui-ci se transforme en basalte, pierre noire plus ou moins poreuse (selon comme elle sèche) et plus ou moins résistante donc. Une fois compacte et dure en revanche, elle devient non seulement super compliquée à tailler mais acquiert les propriétés très intéressantes dans le paysage sicilien d'être isolante de la chaleur en plus de résister aux coulées de lave futures. Ce qui explique qu'on appelle Catane la « ville noire » puisque plein de bâtiments anciens reprennent le basalte comme éléments de construction (à noter qu'aujourd'hui son utilisation est rarissime quand bien même on en trouve des quantités toujours renouvelées car trop coûteux à extraire et lourd à transporter). Cela étant dit, nous passons par divers cratères (qui ont la particularité de n'exploser qu'une seule fois dans leur vie) tandis qu'au loin se profile les sommets enneigés (askip on peut toujours skier un peu les mois d'hiver, dans quelles conditions au juste, cela reste flou) fumeux et surtout nuageux. Car si la météo
était radieuse en ville, à 2500m l'histoire est autre. Malgré le soleil perçant, les nuages sont omniprésents et masquent la vue mais laissant quand même quelques panoramas étonnants et lunaires en contrebas à apprécier. Je reste néanmoins sur ma faim de cette randonnée dont les deux guides étaient très sympas (même s'ils étaient supporters de la Juve) et qui m'a insufflé de douces réminiscences de mon échappée au Grand Canyon en fin d'année dernière.
ARRIVEDERCI
L'Italie, ses îles notamment, sont toujours pour moi un plaisir renouvelé.
En plus du climat, des couleurs, des décors, l'italien est un voyage en soi. Une langue magnifique, vraiment belle et douce à écouter, du miel à mes oreilles. Elle est bien plus vivante et expressive que le français, truffée d'intonations et de vagues de mélodies. Je me souviens dans le bus qui me conduisait à Noto d'une jeune fille au téléphone derrière moi et qui concédait avec une pointe de dédain et d'indolence des douzaines de « certo » (oui ok) lascifs à son interlocuteur, je croyais rêver doucement et je souhaitais que cette mélodie ne s'arrête jamais. Cela peut être aussi simple que ça.
Bon et puis après il y a tout le reste, la cuisine, la sympathie et disponibilité des gens, les prix ok, mais aussi le fait de fuir la France et sa politique morbide, son atmosphère étouffante, ses scandales à répétition, ses médias écoeurants, oui ça fait du bien d'être ailleurs, même si ce pays s'est en l'occurence déjà engouffré dans la voie qui nous attend inéluctablement. Mais comment dire ? Je ne suis pas italien, et les rares moments que je passe en France, j'y travaille, et mon pays je le considère un peu comme mon travail, quand j'ai fini, je me barre, parce que j'y suis attaché et rattaché par tout un tas de raisons, mais je sais aussi m'en sauvegarder. Ce mois et des brouettes passé en Sicile m'a permis d'approfondir ma connaissance de l'île, de repratiquer cette langue qui me manquait tant, découvrir de nouveaux décors et me reposer, vivre à un rythme autre, celui de la siesta l'après-midi, qui fait grand bien et guérit de nombre de maux auxquels on ne peut malheureusement à peu près rien. Maintenant je sais ce que c'est de vivre un peu à Catania et la route se poursuit.
Si vous avez suivi l'affaire jusqu'ici, félicitations et merci de votre lecture. Comme vous avez pu le voir, des photos argentiques (merci Guillaume pour le dev) égayent ça et là ce long récital qui se termine virtuellement ici. Au plaisir.