Sancho et mule défaite
Voilà quelques temps que je n'ai plus écrit.
En fait, depuis mon arrivée à Barcelone. Et j'y reviens quelques mois plus tard, l'esprit en désordre, comme un coup de vent, car je ne peux pas m'y arrêter. J'ai autant de mal à la regarder qu'une victime son agresseur. Vraiment. Tout ce que j'en sais, c'est que je dois m'en barrer en urgence. Et à ce moment précis, j'espère que cette inquiétude ne pointe pas derrière quelques sourires factices que je glisse à mes deux ami.e.s. Je suis ici pour une raison simple : iels ont gardé depuis mon départ (aux premiers jours de novembre) jusque maintenant (premiers jours de février) le vélo qui m'avait permis de relier Lille à Barcelone, et avec lui tout un lot de promesses et d'espoirs envolés. Nous sommes sur un trottoir, près de la gare, après un resto décevant, il est presque 22h, je ne pense qu'à partir au moment où les adieux se font pénibles et où je ne suis plus très sûr des banalités qui s'échangent. Se revoir. Ses yeux à elle brillent de l'affection qui l'anime, et lui, n'a jamais été plus beau qu'une fois déridé, apaisé. Moi je me sens coupable et honteux d'avoir été un poids supplémentaire pour eux. La pandémie nous évite tout contact, de bout du pied je me détache et m'enfonce nuitamment dans le quartier de Sants.
Après presque 16h de bus de Paris à Barcelone, une escale de deux heures dans une Lyon déserte avant le lever du jour, je renoue avec le sommeil dans un lit au milieu d'une chambre sans fenêtre, chez un jeune couple dont je ne veux rien savoir. Le lendemain matin, je suis surpris par l'heure déjà avancée. Je mets de l'ordre dans mes bagages. Le contenu de mon sac à dos de voyage est distribué dans les diverses sacoches qui bordent mon cadre, leur chien me regarde, allongé dans le couloir, ses deux billes d'yeux fondant avec la gravité. Je claque la porte, retrouve une route connue, dépasse le port, le forum, longe les plages odieuses de la ville avec un objectif unique en tête : quitter l'Espagne et clore le chapitre de ces derniers mois.
Ma route doit me conduire jusque Montpellier. Les 400 kilomètres qui m'en séparent donnent lieu à trois étapes à priori (à hauteur de Girona, puis au-delà de la frontière, vers Perpignan puis Béziers) avant qu'un train ne m'emmène de Montpellier à Lille cinq jours après mon départ. Pour ce micro voyage, j'embarque tout le nécessaire. Les nuits de février dans le sud ne m'impressionnent pas et je dois quitter ce pays comme j'y suis venu : seul. Quitter Barcelone me prend un certain temps. Sur une grande partie de la Costa de Maresme, les villes balnéaires se succèdent. Vides de touristes, leur heure est à l'entretien des parcs et jardins. J'alterne mon chemin tantôt entre le passage longeant la plage et la N-11 qui égraine comme un chapelet les hôtels et campings fermés. Je retrouve durant ces premiers kilomètres mes marques sur ma machine, sa lourdeur, mais aussi sa réactivité, rouler chargé n'est pas un défi et a même quelque chose d’agréable, tout file, même si les efforts à fournir pour avancer sont plus intenses. Le soleil au rendez-vous et la température très douce me poussent à rouler plus longtemps, d'autant que je suis parti un peu avant 11h de Barcelone. Un peu avant 15h j'arrive à Blanes et m'assit en terrasse d'un troquet le long de la mer. Sans surprise, comme partout ailleurs dans le pays (sauf à de très rares occasions, que je peux compter sur les doigts de la main), la bouffe est dégueulasse. Songeant à Blanes, je repense surtout à cet auteur chilien que j'admire, Roberto Bolaño, qui y a vécu et travaillé comme gardien de camping. C'est ici qu'il aurait lu et écrit une partie de sa vie. Je comprends pourquoi maintenant, car peut-être même encore plus actuellement qu'à l'époque, une large partie des revenus locaux doivent tenir du tourisme. Quelques russes déjeunent à l'ombre de mes affaires humides qui sèchent au soleil. L'après-midi n'est pas une partie de plaisir car les options de routes roulables dans la région sont rares. Je jette mon dévolu sur la C-35... qui se trouve être une autoroute. Soit. Du bord de la piste je remonte le long serpent tandis que le soleil disparaît derrière la chaine de monts du nord de la province de Barcelone, Montsenny. J'atteins, alors que la nuit tombe, la destination que je m'étais fixée : Platja d'Ora et son supermarché. Après quelques achats devenus traditionnels pour le dîner et le déjeuner (on a toujours besoin de repères), je pars me dégotter un coin tranquille pour camper. C'est un peu avant la sortie de la ville que j'avise la bâtisse abandonnée d'un hôtel en ruines. Je m'engouffre, l'endroit me semble risqué, sujet à squat et visites nocturnes, alors je remonte quelques dizaines de mètres plus haut le chemin qui y menait et trouve le fond d'un jardin boisé. Je me décide rapidement car je ne relève aucune agitation dans les résidences voisines et plante la tente pour la nuit. Agréablement douce, la nuit passe sans encombre. Mes affaires sèchent succinctement au soleil qui surgit de la méditerranée le lendemain matin, une fois tout empaqueté, je reprends la route en direction du nord et retrouve notre bonne vieille C-35 sur une vingtaine de kilomètres. Au bout de quelques longueurs, un vieux souvenir me revient. L'information émane de mon corps, ce n'est plus seulement la mémoire des muscles en action, ayant roulé tant de kilomètres (2700 entre fin juillet et début octobre) qui se ravive, mais la mémoire de la douleur. Rapidement, le mal qui avait presque gâché la dernière partie de mon voyage me ressaisit, je revisualise exactement l'endroit inaccessible, au milieu du genou gauche, inatteignable des doigts, des crèmes chauffantes ou huiles de massage à l'arnica. Je roule et ma douleur me pousse, me tire, me pique. Je finis par quitter l'autoroute pour converger sur une autre route qui va plus au nord, quittant la mer et la Costa Brava pour rejoindre Figueras. Avant cela, un arrêt s'impose pour moi dans la ville médiévale de Pals qui me séduit alors que je passe à son niveau. Juchée sur une petite colline, son église et son mirador dominent le paysage. Arrivé au pied de ses remparts, je décide de m'y promener en poussant ma mule sur les pavés. La ville est très jolie malgré le peu d'habitants que j'y croise en ce mois de février. De retour sur la route, j'atteins finalement la ville d'origine de Salvador Dali, y déjeune dans un restaurant tenu par des français. C'est d'ailleurs presque une fête pour moi ce dernier repas dans ce pays, car même s'il me laisse un peu sur ma faim, il signifie aussi la fin d'une longue série de mauvaises surprises culinaires. Une copine cuisinière m'avait confié quelques jours plus tôt à ce sujet qu'elle éprouvait toujours un grand soulagement à rentrer en France, j'opinais du chef à ses dires. De Figueras jusqu'au poste frontière, il ne reste pas long. Les Pyrénées environnantes sont tranquilles, rares sommets enneigés, elles dominent les immondes zones où s'entassent les automobiles, toujours sous un soleil impeccable. Ici des supermarchés distribuant toutes les spécialités nationales, là des stations services et leur liquide meilleur marché, tabac, alcool, entre deux parkings et des hôtels glauques (le Paradise Hotel me reste en mémoire, car en terme de paradis, si c'est pour celui-ci que les croyants oeuvrent, je n'ose alors pas imaginer leur enfer), des prostituées poireautent devant des camions aux rideaux baissés. Une petite grimpe s'annonce enfin pour pouvoir tutoyer nos sommets français : nos douaniers se dressent fièrement au poste frontière. Ma douleur et moi nous hissons jusqu'à l'arrivée au village du Perthuis qui est une redite de la dernière partie espagnole condensée dans une petite artère citadine solidement gardée par notre élite veillant arme au poing devant les grilles de cette antichambre française cauchemardesque. Le soulagement nous saisit seulement après avoir dépassé cette agrégat commercial clignotant et luminescent et que la route nous fasse descendre les flancs montagneux pyrénéens pour plonger sur la ville de Le Boulou et les plaines préfigurant Perpignan. C'est dans une de celles-ci que j'y plante mon campement pour la nuit, espérant trouver au milieu de la végétation un abri du vent. C'est un semi-échec car dans la nuit les bourrasques s'abattent et font trembler toute la toile telles les voiles qui claquent d'une petite embarcation malmenée. Elles me forcent à me lever, arrimer plus solidement les sardines au sol meuble, diminuer la hauteur de tente et la voilure, et quand enfin le matin vient, un courant d'air frais me saisit dans mon demi-sommeil, la lumière perce à travers la végétation sur le plastique frissonnant, oui il va falloir repartir. Je remonte jusque Perpignan, les routes sont dans un état déplorable et le vent souffle de plus belle. Très rapidement la douleur au genou me bouffe. À la sortie de la ville, l'unique voie qui semblait s'offrir à moi n'accepte pas les vélos. Je vérifie à nouveau les cartes, les alternatives possibles, tout en me disant bien qu'il est bien plus cavalier de faire le sioux sur une bande d'arrêt d'urgence française qu'en Espagne, tant la civilité et la bienveillance de nos chauffeurs brillent par leur absence dans leurs habitudes de conduite, maintes fois éprouvées ces dix dernières années. Je me range côté détour, traverse quelques patelins avant d'arriver au Barcarès puis à Leucate, deux noms qui me parlent mais ne disent en fait rien. Déjà-vu espagnol, campings, plages, hôtels et espaces de jeux se succèdent avec comme point commun d'être encore et toujours vides de présence. Les villes semblent en pause, hors du temps, fantômes et sans vie. Les rideaux sont baissés, aucune activité n'est proposée, on remarque seulement sur un menu du jour oublié ou une affiche de cirque arrachée les traces des étés passés. Dans ce décor poussiéreux de western moderne, le vent est mon seul adversaire. Il se tient en face de moi, invisible, puissant, mortel. Je redouble d'effort. Tandis que je redouble d'effort, la douleur, elle, m'arrache des cris. Je rage, je fulmine. L'élément me rend fou. À de très rares moments, le vent se calme, je progresse quelques centaines de mètres sur un coude de route avant qu'elle ne rebifurque et là, c'est la claque dans la gueule. Avec mon chargement à pousser, j'ai l'impression de ne pas avancer, je crois que je peux même compter les mètres défiler, un, deux, trois, les coups de pédales s'enchainent difficilement, un côté plus facile que l'autre, un côté moins douloureux que l'autre. Je hurle, j'enrage, j'écume, mais je n'avance pas, pas assez rapidement à mon goût. Narbonne qui ne doit être qu'une étape avant la nuit me semble trop loin, Béziers intouchable, la départementale que je rattrape ingrate, le vent me cogne, me frappe, m'immobilise, je perds toute énergie et volonté, à la moindre montée du terrain, je mets pied à terre et je pousse ma mule. La plus petite descente est un calvaire, je me sens tel un bouchon balloté par le courant, chahuté par les rafales qui me clouent où je suis. Camper ici et m'arrêter au milieu des vignes n'a aucun sens. Continuer est trop difficile. Je ne sais plus ce que je dois faire. Un ravin se présenterait que j'y jetterais ma monture avec joie, et moi-même à sa suite. Son poids me pèse, comme si c'était elle qui m'empêchait d'atteindre ma destination, alors que c'est elle qui l'avait fixée. Après plusieurs heures d'une progression lente et poussive, j'atteins hors de moi la périphérie de Narbonne. Je reprends mes esprits à la sortie d'un supermarché, sirotant une boisson qui ne pourra me rendre l'énergie perdue dans le vortex de cet après-midi. J'ai du mal à me relever, la douleur au genou est devenue trop grande, dévorante, je me fais une raison, difficilement mais logiquement : il n'y aura pas de quatrième et dernière journée de vélo. La ville est l'occasion de dormir au chaud, en tout cas mieux que sous le vent qui doit continuer de souffler cette nuit et le lendemain, puis d'attraper un train où je hisserai mon vélo jusque Montpellier. Là-bas un camarade m'offrira le gîte et un journée plus tard, un autre train m'emmènera loin d'ici. Ces faits nouveaux, ce bouleversement de plan riment comme un échec à mes oreilles, un vrai. Tout aussi réel que la douleur qui me flingue le genou à chaque tour de pédale.
À bout de force, je cherche un endroit où dormir tranquille. Mon manque de discernement me fera accepter la première option qui s'offrira à moi : l'hôtel le plus cheap de la zone commerciale, un des fameux représentants de l'enseigne Formule1. Après avoir réglé le prix de la tranquillité (presque 38 euros la nuit), un lit double inconfortable s'offre à moi dans une chambre où le chauffage bat son plein. Bon. Je dépose le vélo contre un mur, prends une douche rapide et m'effondre parmi mon repas du soir, mon réveil n'interviendra pas avant 2h du matin, horaire auquel tout le monde semble s'être rencardé pour regagner sa chambre. Je remarque au matin que mes voisins ont déployé une sorte de frigo sur leur appui fenêtre comme je l'avais fait la veille pour mon jus de fruit du matin et un yaourt rescapé. En face, on est cependant plus branché tranche de jambon et pack de 24 bières. Je pense furtivement à ces personnes qui vivent ici, pour plusieurs nuits, ou un temps incertain. Ceux qui ne sont pas des routiers de passage, mais des passagers, des travailleurs refoulés aux zones les plus reculées de la ville. Quelle part de leur salaire s’engouffre chaque jour dans cette chambre ? La moitié ? Je pense à cela passant devant un père et sa fille déjeunant tôt le matin. J'ai été à leur place il y a des années. Ces petits déjeuners étaient alors un plaisir, je me remémore les petites dosettes à usage unique de Nutella ou de confiture, mon père à mes côtés, et aujourd'hui, je suis seul, je sors de cet hôtel sordide, et je me demande comment cette fille se souviendra à son tour de ces matinées chéries. J'attrape un train régional de bonne heure pour Montpellier et débarque dans cette ville que j'ai déjà connu par le passé et dont je garde un très bon souvenir. Je traine jusqu'au soir et attends le retour d'un copain chez lui pour passer la nuit. Je passe la matinée sur la promenade du Peyrou où se tient un petit marché d'antiquaires qui ne m'intéressent que peu. Parmi les petits bourgeois à l'affût des bonnes affaires (lol), un vendeur ambulant propose du thé à la menthe, je lui en commande plusieurs verres que je rationne dans mon thermos tout en continuant ma lecture de l'Eloge de la fuite, au soleil. J'échange quelques mots au sujet du tarot avec une dame proposant de tirer les cartes à sa table de camping. Je me souviens de mon tirage, La maison dieu / L'ermite / Le bateleur. Tout cela fait sens et a cours. Alors que le soleil tombe progressivement et que le vent froid souffle à travers les rues, je me réfugie dans les couloirs d'un centre commercial ouvert malgré que tous les magasins soient fermés. Assis dans une aire de repos pour consommateurs effrénés ouverte aux mendiants le jour du seigneur, je branche mon téléphone à charger et bouquine ainsi plusieurs heures jusqu'à ce que je retrouve mon camarade au nord de la ville. Nous finissons la soirée autour d'un verre de blanc et d'une pizza médiocre.
Le soleil rayonne de toute sa splendeur le lendemain matin à travers les arceaux de l'aqueduc montpelliérain. Après un arrêt dans un supermarché pour me fournir en rouleau de film alimentaire, je prends la direction de la gare. J'y défais l'intégralité du contenu de mes sacoches, les fourre à la va-comme-je-te-pousse dans mon sac à dos et commence à enturbanner le vélo démonté grossièrement des deux rouleurs de 50 mètres de plastique. L'opération effectuée, je me dirige sur le quai devant le regard perplexe des agents SNCF (est-ce un vélo ? est-il démonté ? en housse ? Le doute est permis, mais je m'en tiens à ce pour quoi j'ai payé, à savoir un bagage supplémentaire rentrant dans les dimensions 2m x 2m et de moins de 30 kilos). Une fois installé à bord de ma rame, je souffle enfin, l'issue du voyage est proche et ce chapitre bientôt conclu sauf que... nous sommes dans le Sud, et qui dit Sud, dit sang chaud, et qui dit sang chaud lit l'histoire véridique ci-dessous.
Tout semblait parfait. Le stress des départs mis à part, tous les passagers s'installaient dans la rame de cette manière unique de s'accommoder qu'ont les gens qui entament un long voyage ensemble. On fait attention à ne pas trop déranger ses camarades de bord, on fait taire l'enfant en lui glissant son GSM, et il y a toujours quelqu'un pour aller aux toilettes empêchant ainsi un être fragile et trop poli de bien caser ses multiples valises dans la case prévue à cet effet. À moins de 20 minutes du départ, le chef de bord passe entre les rangs d'oignon, d'un regard, avise ses passagers, les reprend, réprime et là c'est le drame :
- Le masque monsieur
- pardon
- et pour les enfants de plus de six ans aussi, c'est obligatoire
- mettez-le masque les zenfangs
le contrôleur avance un peu et se retourne
- c'est à qui la poussette là près des bagages ?
- À nous pourquoi ?
- Il faut la plier et la ranger, faut pas la laisser trainer là en plein milieu du passage
- mais on peut pas la plier c'est un bus la poussette
- vous la pliez et vous la mettez au fond, y'a encore de la place pour les bagages
- t'inquiète chérie, je vais le faire
le man se lève et passe au niveau du contrôleur
- c'est ça
- c'est çaaaa
- c'est çaaaaaaa
- quoi t'as un problème toi ?
- Toi t'as un problème ?
- Oh hé tu parles pas à mon mari toi ! Calme-toi Mouk
- Oh hé tu parles pas à ma femme
- je te parle pas à toi
- tu me parles pas à moi
la femme se lève, les deux hommes sont quasiment front contre front
- votre billet monsieur, vos papiers, sortez du train, je suis chef de bord, c'est moi qui décide
- je reste ici, tu me connais pas moi, j'suis un fou, un dégénéré
- vos pap'
- je te prends je te casse la tête je t'éventre moi j'en ai rien à foutre t'es qui t'es un condé je te donne rien à toi pauvre merde
- sortez monsieur
- t'as un uniforme de schtroumpfs et tu veux mes papiers mais t'es qui toi je vais te faire manger tes morts la con de race de tes morts
- allo sécurité, j'appelle la police, menace et outrage à un agent assermenté
- à surmonter de quoi t'y es fou toi
Et ainsi commença une altercation de 40 minutes, rameutant voyageurs, agents de la sécurité SNCF (en fait, comme tous les services proposés par la firme française, un rassemblement des employés sous-traités à d'autres sociétés) puis finalement, la cavalerie, prête à désamorcer l'histoire. L'homme sera contraint de quitter le train, sa femme et ses enfants y resteront (elle continuera d'insulter « cette pauvre merde de clochard » dans sa barbe), chacun ira de sa petite remarque (« séparer un père de ses enfants, c'est honteux », « parce que lui il a le pouvoir, il peut leur parler comme à des chiengs, et ils doivent fermer leur gueule ? », « monsieur était peut-être un peu trop surmené, mais il allait passer un weekend à Disneyland avec ses mômes » ou encore « il faut raison et calme garder » – non ça je l'ai inventé, mais n'empêche qu'il faut toujours bien fermer sa gueule devant les détenteurs de l'autorité, plus on l'ouvre, plus l'addition est salée) et le train partira enfin tandis qu'une passagère de cette même rame fera un malaise (sans aucun rapport avec l'incident visiblement, sauf si celle-ci avait du mal à gérer les tensions et les conflits ou les retards) et sera évacuée sur le quai au son d'un appel à médecin retentissant dans les wagons. Oui, le train s'ébranle, le paysage se meut et file, il nous faudra bien en gare de Roissy changer d'appareil pour cause de problème mécanique, mais ça ne fait plus rien, car le Nord est déjà là, de retour, et me voici, songeant aux jours prochains, à l'avenir, que faire, pourquoi et où. Et l'Italie, l'Italie, ciao raggazi. Ciao veut dire à la fois bonjour et au revoir les amis.